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ECRITURE ET TROPES


par David Sicé.

 

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Les tropes sont des idées qui reviennent dans les récits, quelques soient leurs supports (image, musique, écrit, jeux), quelques soient leur époque. Par exemple « Tout est bien qui finit bien » est la trope qui décrit le fait qu’une histoire se termine bien – comme dans bien des contes de fées, une majorité de romans et bandes dessinées pour la jeunesse, les dessins animés de chez Disney qui sont souvent des adaptations très libres des précédents, les comédies romantiques et ainsi de suite.


Il existe une encyclopédie en ligne en anglais de ces tropes : il y en a des milliers, répartis dans des centaines de catégories qui s’entrecroisent.


http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/HomePage


Le site a pour vocation de facilité l’écriture de récits, mais les rédacteurs sont très conscients d’un problème majeur : les visiteurs se perdent dans le site et n’écrivent plus. Loin de « stimuler l’imagination » comme le suggèrent les pages de génération aléatoires de « pitch » et d’ « intrigues », l’abondance des tropes paralyse l’activité créative. Et si on s’aventurait à rédiger un récit à partir d’une poignée de tropes, le récit ne serait probablement pas une réussite – mais une juxtaposition d’idées empruntées à une collection de récits précédents – à moins bien entendu de faire tout le travail qui manque, ce qui aurait pu être fait sans passer par la case « Trope ».

 

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Et pourtant, cette formidable manne que représentent les tropes devrait faciliter la vie des créateurs. Qu’est-ce que qui coince ? Où est le problème ?


Le problème est en fait flagrant : un trope est un agrégat d’idées, pouvant se rapporter à n’importe quelle étape de la création d’un récit, et même à plusieurs étapes en même temps. Il s’agit d’une description, une photographie (un « cliché », tout à fait, même si les auteurs de l'encyclopédie s'en défendent) prise au moment de lire / voir / jouer le récit, c’est-à-dire à une étape où la création est achevée, pas au moment où le récit naît, pas au moment où il se développe, prend forme, se concrétise en un texte rédigé, une image peinte, un film tourné, un jeu programmé etc. Un trope est un fragment de la description, la description du récit – et pas le récit lui-même. C’est la carte confondue avec le territoire.


Faut-il pour autant renoncer aux tropes ? Certainement pas. Les Tropes décrivent l’apparence finale d’un récit, c’est donc un langage précieux pour imiter (parodier, pasticher, s’inspirer de etc.) un récit existant. Mais au-delà, comment les incorporer à une méthode efficace pour générer des récits.

 

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Le problème numéro un est dans l’extrême confusion qui règne dans la présentation des Tropes. Chaque Trope est certes inclue dans un des très nombreux index, qui incluent des index par genres ou par « étapes » de création (caractérisation des personnages, dialogues, intrigues etc.). Malheureusement, comme on l’a dit plus haut, un seul trope peut très bien agglomérer plusieurs idées ou conséquences de techniques d’écriture à appliquer à différentes étapes de la construction du récit. Pire, un trope (ou partie de trope) peut très bien être le même outil, qui générera un nom de trope différent selon sur quel objet il est appliqué, et à quel étape de la construction du récit il est appliqué.

Autrement dit, vous ne connaissez pas le vrai nom de l’outil, ni son véritable champ d’application, ni ses conséquences, en appliquant au hasard un trope intéressant pêché dans l’un des index.


La solution consisterait donc, avant d’appliquer un trope à une quelconque étape de la création de votre récit, à examiner le Trope de plus près. Autrement dit, séparer les idées qu’il contient et rétablir leurs contextes – en particulier, quelle est l’étape de création du récit qui est concernée parmi les suivantes :

1°) Recherche des idées en les reliant entre elles (carte de l’esprit) ;

2°) Construction de l’encyclopédie (décors et accessoires, personnages, évènements et actions) ;

3°) Construction des intrigues des plus courtes aux plus longues (scène de fin, scène de début, scène permettant de passer de la fin au début) ;

4°) Construction du scène par scène (toutes les scènes des intrigues remisent dans un ordre chronologique) ;

5°) Construction de la progression (choix d’une ou plusieurs logiques de progression et sélection des scènes montrées au lecteur) ;

6°) Construction de la narration en vue d’un premier jet) ;

7°) Rédaction du premier jet et correction ;

8°) Rendu du manuscrit définitif (scénario, story-board, partition musicale etc.) en vue de la production du support choisi – image, son, architecture etc.).

 

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Prenons par exemple le Trope « Un héros est né ».


http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/AHeroIsBorn


Ce trope est validé par la survenance du récit de l’une de ces deux scènes, ou des deux : le lecteur assiste à la naissance d’un enfant, qui plus tard va devenir un « héros » dans l’histoire ; le lecteur assiste à l’éducation du petit enfant, qui plus tard… etc.

Pêchons un peu dans ces deux phrases : si on nous parle de quelque chose que voit le lecteur, c’est que non seulement nous avons un « narrateur » qui est présent, donc un personnage à part entière à ajouter à l’Encyclopédie (étape 2), nous avons une ou plusieurs intrigues (ensemble de scènes allant d’un début à une fin) comprenant un personnage à l’état de bébé, avec l’action de naître, ou à l’état d’enfant avec de nombreuses possibilités d’action – en fait toutes les possibilités d’actions, exceptés celles qui se termineraient par sa mort, encore que le héros pourrait être un fantôme, un être humain réincarné etc.  Enfin, le trope « Un héros est né » implique que la scène en question soit montrée au lecteur, donc il faut qu’elle figure dans la progression du récit (étape 5).


Vous réalisez donc que le moindre trope peut vous emmener très loin, sans jamais qu’il y ait le besoin à un moment quelconque de la création du récit de vous référer à un autre trope ou au trope de départ, ce qui serait une très mauvaise idée : en effet, si vous vous risquer à évoquer un autre trope, et c’est facile parce que notre chère encyclopédie des tropes définit souvent un trope par d’autres tropes, vous vous coupez de votre propre cheminement mental de création. Autrement dit, vous tuez votre inspiration et toutes vos chances d’arriver à un vrai récit tridimensionnel et émouvant, et non à un simple collage d’idées déjà vues ailleurs.


A l’évidence, n’importe quel trope peut s’appliquer à l’étape de la recherche des idées, puisque c’est une espèce de « chaudron de sorcière » dans laquelle on peut tout déverser, mais dans lequel on ne puisera que ce sont on aura besoin pour la suite. Ce qui signifie bien qu’un Trope ne sera JAMAIS utilisé dans la forme où on l’aura trouvée : écrire un récit n’est pas une activité de découpage et collage.

 

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Le problème numéro deux est justement qu’un Trope n’a ni racines, ni branches. C’est un objet à deux dimensions. On ne peut pas le faire pivoter, à moins de lui ajouter le relief, la profondeur (les profondeurs) qui lui manquent. Or un récit qui va impacter sur son lecteur au point que son imagination s’emballera, que sa vision du réel sera changée (ou confortée), que de nouvelles émotions le bouleverseront – hé bien ce genre de récit est justement un objet en trois dimensions, dans lequel le lecteur peut s’immerger, visiter, et ramener dans sa réalité pour l’y intégrer, sans avoir à tordre ou limiter sa vision pour se faire.


Pour résoudre ce problème, nous pouvons utiliser la carte de l’esprit et les outils de génération d’idées. Et à partir de là, déverser tout ce que nous avons trouvé dans l’Encyclopédie (étape 2), ou ne retenir que les éléments qui nous intéressent le plus, et reconstruire ce qui nous manque pour la suite de la création du récit.


Par exemple, prenons le Trope « Ouverture Froide à la Batman ».


http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/BatmanColdOpen


Le trope est décrit comme la première scène d’un récit (donc nous sommes à l’étape 5, progression du récit) où le lecteur assiste à un crime (étape 2, encyclopédie, choix du narrateur, personnages criminels, décors et actions en rapport avec le crime ; étape 3, intrigues relatives au crime – début, fin, milieu), dans lequel le héros va intervenir (étape 2, encyclopédie, le héros ; étape 3, les intrigues le mêlant au crime). La scène doit permettre d’illustrer la place du héros dans son univers (encyclopédie 2), en prouvant sa compétence ou son rôle aux yeux du lecteur (drapeaux et implants – qui consistent à placer des scènes (qui appartiennent forcément à des intrigues, étape 3, listées dans le scène par scène, étape 4) dans la progression, étape 5, mis en avant dans la narration, étape 6), lui donner des sujets de commentaire et éventuellement lancer ou rattraper un récit-arc (autrement dit une intrigue longue, étape 3).


Pour faire pousser les « racines » et « les branches » de ce trope, il faut donc en passer par la recherche des idées, puis en passer par toutes les étapes traditionnelles. Le site entier fait miroiter l’idée que, grâce au trope, vous pourrez zapper cette étape et obtenir un meilleur récit (aussi bon que ses prédécesseurs illustrant le trope), mais c’est faux.

 

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Vous devez aussi à présent réaliser que l’incorporation d’un trope dans un récit est aussi, et peut-être avant tout, une source de chaos dans le processus créatif, parce qu’un trope entraîne des conséquences et du travail supplémentaire à toutes les étapes. Ce n’est pas forcément un mal, mais imaginez maintenant ce qui risque d’arriver si vous incorporez non pas un trope, mais plusieurs d’un coup, comme le suggère fortement notre encyclopédie favorite. La barque créative risque de fortement tanguer.


On pourrait argumenter que partir d’un gros tas de tropes pour construire une histoire serait un remède au manque d’inspiration. C’est oublier que les idées sont partout et que la page blanche ne peut pas exister une fois que l’on applique les outils de recherche d’idées (ou plus puissant encore, des langages comme le Primordial ou le Remaï, qui transforment littéralement n’importe quoi en idées cohérentes).


Ce qui est beaucoup plus problématique qu’une absence d’idées, c’est l’absence de liens logiques ou inconscients entre les idées que l’on récolte et tisse en un récit. C’est précisément à cela que l’on s’expose en entassant des tropes à tout va à toutes les étapes de création du récit. Les tropes sont des échos, des représentations d’autres récits, qui sont possiblement autant d’icebergs qui ne flottent et ne vous impressionnent que parce qu’il se trouve dessous une montagne, voire un océan de fils logiques et inconscients. Ce n’est pas en raclant la surface de cette montagne ou de cet océan que vous hériterez du pouvoir de la totalité de l’œuvre.

 

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Testons  à ce sujet le « générateur d’histoire » fournit par notre encyclopédie des Tropes :


http://tvtropes.org/pmwiki/storygen.php


J’obtiens la page suivante :


Décor : Magazine de mode.
Intrigue : Épisode de Camp de Discipline Militaire.
Ficelle narrative : Test d’intelligence à la « Jeopardy ».
Héros : Substitut d’Anti-Héros.
Ennemi : Le Harceleur.
Personnage comme ficelle : Juge Cruel.
Ficelle de caractérisation : Créature d’Habitudes.

***


Cela ressemble à une encyclopédie (une pioche à décors, personnages, évènements) mais cela n’en est pas une. En tout cas, pas tant que toutes les « tropes » n’auront pas été développées en davantage de détails. Par exemple, où et quand se trouve la rédaction du magazine de mode ? Si nous sommes à Londres à l’époque victorienne, le récit ne sera pas le même que si nous étions dans le Los Angeles de Blade Runner. Et si deux récits dans des décors si différents venaient à donner des résultats  identiques, il faudrait sérieusement s’inquiéter, car tout élément retenu pour un récit doit produire un effet, une récompense à l’arrivée pour le lecteur, sinon l’auteur a perdu du temps et surtout le bénéfice d’avoir péché l’élément en question au départ.

 

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L’impression de départ se confirme lorsqu’on jette un coup d’œil à la page consacrée au Trope « Magazine de Mode » :

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/FashionMagazine

 

Aucune information sur à quoi ressemble une rédaction d’un magazine de mode, l’arborescence du personnel, le genre de personnalité qu’on y rencontre et ainsi de suite. Au contraire, voilà qu’une douzaine de tropes nous tombent sur la figure, alors que l’on n’a même pas commencé à digérer celle-ci. Notre encyclopédie des Tropes souffre en fait de la fameuse Trope « N’a pas fait ses recherches ».


Cependant, tout n’est pas inexploitable dans la page de ce trope : en effet, le site fournit toute une série d’exemples de récits présentant ce trope. Si vous écrivez un récit réaliste, la section la plus importante est bien sûr les exemples tirés de la vie réelle. Si vous écrivez pour un support particulier (manga, bande dessinée, télévision, jeu vidéo), il peut être important de faire, comme on dit parfois, à Rome comme les romains. En gros imiter le style et respecter les règles en vigueur dans ce support, pour ne pas choquer les investisseurs / producteurs (le lecteur / spectateur / joueurs est  la dernière roue du carrosse) ou pour faire des clins d’œil aux lecteurs / spectateurs / joueurs (après tout, ce sont eux qui payent, ne serait-ce que de leur précieux temps, et très souvent de leur bon argent, vos service).

 

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Voyons à présent la page consacrée à l’intrigue : « Camp de discipline militaire ».

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/BootCampEpisode

Oh surprise, la ligne d’intrigue n’est qu’évoquée et de très loin. Or, pour qu’une intrigue tienne la route, il faut qu’elle ait au moins un début, un milieu, une fin (pour que l’on puisse progresser dans le récit en la parcourant). On notera au passage qu’une telle intrigue suggère un autre décor et d’autres personnages que la seule rédaction du magazine de mode et ses salariés.  La page suggère aussi que l’on va bien rire, alors que l’histoire pourrait être aussi tragique, ou ouvrir sur une véritable aventure ou un film d’horreur, autant qu’une romance ou que n’importe quel genre en fait.

Ce qui nous manque encore une fois c’est le plus important : nous n’avons aucune idée du cadre, de notre destination « finale » : écrivons-nous un épisode de sitcom, une nouvelle fantastique, une bd de super-héros, un chapitre d’un manuel de langue ?

Avant de se lancer dans quoi que ce soit, vous devez fixer cela, et vous assurer au passage que vous avez bien les moyens matériels et le temps de produire ce que vous voulez produire. Après quoi, le Trope « Camp d’entraînement militaire » ne vous aidera que si vous avez une idée de ce qu’est un camp d’entraînement militaire (étape de la recherche des idées), si vous créez les décors, personnages, évènements qu’il sous-entend dans l’encyclopédie, et seulement si, en matière d’intrigue vous en tirer des lignes complètes (fin, début, milieu), des plus courtes aux plus longues.

 

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http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/JeopardyIntelligenceTest


Passons à la ficelle narrative, une partie du jeu « Jeopardy » destinée à prouver aux yeux du lecteur son intelligence. Si c’est l’intérêt de tout le récit, prouver l’intelligence (la mémoire !) ou mieux, la débrouillardise du héros pour se tirer de tous les défis, ce sera peut-être un peu limité.

Peu importe. La ficelle narrative semble correspondre ici à la progression dramatique du récit (étape 5). La progression serait alors calquée sur le jeu télévisée (un premier défi facile à gagner, puis d’autres, jusqu’au défi ultime censé impressionner le lecteur présumé, un personnage à part entière qu’il va nous falloir cerner, histoire de savoir ce qui l’impressionnera.

En revanche, il n’y a simplement rien dans la page qui nous permette de rédiger d’un bout à l’autre un épisode du fameux jeu télévisée « Jeopardy », donc rien qui permette de rédiger un récit du même genre. Pour que cela soit possible, la page aurait dû fournir non seulement le détail du Rite Jeopardy (c’est-à-dire les rôles à distribuer, les étapes à suivre, les récompenses psychologiques et qui les touche en cas d’aboutissement du rite, tous les jeux qui peuvent saboter le rite, toutes les parades qui peuvent sauver le rite).

Pour combler ce vide, il vous faudra simplement voir / lire / jouer les scènes des récits qui vous sont donnés en exemple, en particulier un épisode du jeu « Jeopardy », et noter quels sont les rôles, les étapes, les récompenses, les échecs et les solutions aux échecs qui reviennent.

 

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Si vous n’avez aucune expérience des rites et des jeux, ne vous découragez pas : essayez simplement de décrire en direct ce qui arrive sous vos yeux.

Trouvez des surnoms aux acteurs, des expressions colorées pour désigner chacun de leurs actes et dans quelles situations ils se retrouvent. Au bout de plusieurs scènes du même genre commentées de cette manière, vous obtiendrez forcément tout ce dont vous avez besoin : un ou plusieurs schémas qui reviennent tout le temps en fonction du dénouement de la scène.

Par exemple, Génie Sans Bouillir dans le Fauteuil de Torture, Buzze avant son Rival Combatif et donne une Réponde Juste à la Question Directe. Pour jouer à ce jeu, il faut donc 1°) Monter dans le Fauteuil, en présence d'un Rival ; 2°) Avoir un Monsieur Loyal qui pose la Question Directe, 3°) Répondre à temps Juste ou Faux ou ne pas répondre à temps ; 4°) Si on a répondu à temps juste, on touche la ou les Récompenses (Applaudissements, Bon Point, etc.) ; si on a répondu faux ou trop tard, on ne touche un autre genre de Récompense, éventuellement une Punition (une insulte par exemple dans la version "Maillon faible").

***

Lorsque vous revenez à votre récit, vous remplacez tous les surnoms par un objet le plus proche, personne, action la plus proche. Par exemple, Gina la journaliste de mode répond juste à la question  de Jake le bel officier sur comment on appelle tel élément d’un fusil mitrailleur paint-ball en pièces détachées, grillant au passage sa rivale Britney, qui ne rêve que d’impressionner Jake pour coucher avec lui et briser son cœur comme elle le fait toujours… Argh ! La récompense étant d’impressionner (et non gagner de l’argent).

***

Surtout, n'allez pas appeler vos expressions colorées comme des "tropes", un mot fourre-tout qui engendre visiblement la confusion : lorsqu'on essaie de décrire un rite ou un jeu, les personnages sont des rôles précis ("Génie sans bouillir"), chaque action est une étape, ou si vous préférez une scène, qui comme toutes les scènes, est composée d'un décor, de personnages et d'un évènement - et ainsi de suite.

 

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Voyons la page du Héros – ou plutôt de l’anti-héros de substitution.

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/AntiHeroSubstitute

 

La description concerne à la fois le caractère du personnage principal, et des intrigues passées, présentes ou futures : l’anti-héros n’existe que par rapport à un héros précédent plus positif, qui a été (temporairement) écarté, l’obligeant à prendre la place du héros malgré le fait qu’il a certains traits de caractère plus déplaisants que le héros – cependant, le premier héros peut revenir et remettre en cause la place de l’anti-héros.

Bref, plein d’idées intéressantes, mais qui bousculent complètement la progression du récit, rajoutent un personnage important, voire une foule (le héros ou l’anti-héros n’ont de place que dans un groupe de personnage, une société – pas de société, pas de rang à tenir, pas de conflit)  etc. etc.

La seule manière d’exploiter tout cela est de replacer tous ces éléments à travers les différentes étapes de la création du récit, avec un énorme risque que ce Trope vienne fragiliser ou fracasser  tout le travail de construction précédent, et vous retarder considérablement, vu qu’il faudra tout reconstruire après.

 

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La page consacré à l’Ennemi du Héros, ici le Harceleur...

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/TheBully

...pose le même problème que celle de l’Anri-Héros, auquel elle ajoute, merci pour nous, un problème identique à la ficelle Jeopardy : un Harceleur est caractérisé par les jeux de harcèlement qu’il emploie, les récompenses qu’il s’efforce d’accumuler, les causes de son comportement, et les ouvertures qui lui reste pour s’en sortir.  De plus un harceleur n’a de pouvoir que s’il peut profiter d’une situation de blocage qui empêche ses victimes de le fuir et il a aussi besoin de complices qui le soutiennent activement ou s’abstiennent de s’opposer à lui. La page propose des exemples de personnages, mais à aucun moment ne donne les éléments indispensables à la rédaction des scènes où il interviendra.

Le côté positif de notre démarche à ce stade de la création d’un récit à partir des tropes du générateur aléatoire d’histoire, est que si nous faisons les recherches nécessaires, nous aurons en effet un récit dense à l’arrivée, et nous aurons appris des choses en nous efforçant de combler toutes les lacunes de la page consacrée au Trope.

Mais là encore, nous ne sommes maîtres de rien, et certainement pas de notre temps de recherche. Or, tous les récits se rédigent dans un temps très limité, et il ne sera pas question de reculer la date limite de remise du manuscrit quand vous travaillez pour une équipe de production.

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 Le personnage ficelle, ici, un juge cruel...

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/HangingJudge

...n’est là que pour faire avancer l’intrigue. Dans le meilleur des cas, il a d’autres facettes, mais il peut aussi ne servir qu’à faire ce qu’il a à faire vis-à-vis du héros. Une fois de plus, le Trope forcé dans le récit bouleverse tout l’édifice du récit, qui commence à prendre du surpoids. Cela vient du fait qu’entre le temps de recherche supplémentaire et l’ajout d’intrigues à tout va (pour qu’il y ait un juge, il faut un procès, donc il faut un plaignant, un accusé, un « crime » etc. etc.).

Il faut noter que si on peut facilement comprimer n’importe quel récit, l’ajout de chaque nouveau Trope a pour effet de limiter voire de détruire les développements tout à fait logiques et cohérents, et possiblement passionnants, qui vous venaient sans avoir à recourir aux Tropes.

L’explication est justement dans la page consacré aux « personnages ficelles ».


http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/CharactersAsDevice


Les séries télévisées sont écrites à toutes vitesses : les tropes permettent à un scénariste incompétent de bâcler le travail et d’arriver quand même à un résultat dans les délais impartis. C’est là tout le problème, parce que le résultat sera bâclé, et voilà pourquoi l’immense majorité des séries télévisées sont médiocres, et nous font perdre du temps et de la cervelle.

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Le dernier trope (Créature d’Habitudes)...

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/CreatureOfHabit

...est une ficelle de caractérisation, autrement dit une suggestion pour « étoffer » notre personnage. Lequel au juste ? En gros, le trope pourrait désigner aussi bien une personne casanière ou consciencieuse, que timorée ou limite psychopathe. Le personnage a des petites habitudes auxquelles il tient.

Le Trope est censé étoffer le personnage, mais il n’explique en rien sa psychologie, elle ne la traduit pas en rites ou jeux, elle suggère des intrigues passées, présentes, à venir, soit un wagon de scènes supplémentaires qui auront ou n’auront pas leurs places dans les progressions précédentes.

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Ce qui nous amène au vrai problème du générateur d’histoires est qu’il ne génère pas d’histoires comme annoncés, mais de nouveaux problèmes à résoudre tout azimut pour faire tenir debout le récit. En fait, ce n’est plus un moyen de construire un récit plus facilement, mais une espèce de défi, du genre « Serez-vous capable d’écrire un récit qui fera ceci, cela, et en plus ceci et encore cela… ».

S’il s’agit de briller en société ou de vous entraîner à écrire, vous avez tout gagné. S’il s’agit de créer le meilleur récit possible dans un temps record afin de tenir vos délais, satisfaire et respecter vos propres attentes et celles de votre commanditaire, autant que celles du lecteur, c’est possiblement le pire chemin à prendre.

 

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Le problème numéro trois est d’arriver à un récit original tout en le construisant à partir d’idées - en fait de morceaux de représentation d’un récit fini précédent. Les auteurs du site ont tout à fait raison en affirmant qu’il n’y a pas de récit original et qu’il n’y a donc rien de mal à recycler les idées des générations précédentes.

Par ailleurs, il est indispensable d’agiter en guise de drapeaux les éléments de l’œuvre précédente que l’on veut évoquer, rendre hommage, rejoindre, pasticher, parodier. Donc les tropes font bien partie des outils d’écriture.

De même, maîtriser les Tropes, en tout cas tels que le conçoivent les auteurs du site, semble bien indispensable pour franchir avec succès l’étape du « pitch » - cet espèce d’entretien d’embauche où vous vendez à un studio / éditeur / futur coéquipier, votre projet de récit à réaliser par une équipe complète de production.

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Dans la réalité, la seule maîtrise des tropes ne suffira pas, et dans certains pays (la France par exemple), vous constaterez que la promotion de la création marche sur la tête, et que le créateur à l’origine du projet est la première personne qu’on vire (et qu’on s’abstient de payer), à moins qu’il ne soit riche, célèbre et protéger par des alliés particulièrement intimidants.

Cela doit aussi être vrai ailleurs, mais pas forcément à ce point. La solution est d’être son propre producteur / distributeur (pourvu que survive l’Internet Libre) ou de ne travailler qu’avec des amis de vingt à trente ans qui ne vous ont jamais trahi, ou des petits jeunes idéalistes qui n’ont que des bonnes fréquentations.

 

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Fermeture de la parenthèse : si les tropes, outils du « pitch » sont à leur juste place, comment se fait-il qu’il est impossible de commencer immédiatement la rédaction d’un premier jet à partir de la page « générateur de pitch »

http://tvtropes.org/pmwiki/pitchgenerator.php


Prenons le premier « pitch » qui m’est aléatoirement proposé et voyons ce que nous pouvons en tirer : Little Ensteins rencontre Bionic Six.

Cela commence bien, je ne connais aucun de ces récits modèles, mais ne nous décourageons pas, allons consulter leurs pages respectives.

 

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La page de Little Einsteins...

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/LittleEinsteins

...décrit le récit comme une série télévisée Disney pour les enfants très populaire, décrit sommairement les héros, une petite équipe embarquée à bord d’une fusée.

La progression logique d’un épisode type est également fournie : on part d’une œuvre d’art et d’un morceau de musique que les héros présentent, puis l’équipe parcourt plusieurs planètes pour résoudre une énigme, remplir une mission dans lesquels on retrouvera les œuvres en question. Autrement dit, nous voilà avec une mini « bible », c’est-à-dire un cahier de charge fournis aux auteurs d’une œuvre pour qu’ils produisent des récits clairement reliés à la même série.

Jusqu’ici aucun problème, déversez toutes ces informations dans la recherche des idées si vous voulez produire le même genre de récit que Little Ensteins – ou directement dans l’encyclopédie, si vous voulez produire un nouvel épisode (pastiche, parodique ou canon) de la série Little Einsteins.

 

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Passé l’introduction relativement lisible, déboule une avalanche de tropes après la formule « Little Einstein fournit des exemples de… ». Que faire alors ? Certainement pas déverser une cinquantaine de tropes dans notre recherche d’idées. Rien ne garantit d’ailleurs que tous ces tropes soient systématiquement visibles à la projection d’un épisode.


Par ailleurs, si on va consulter la page de Bionic Six,

http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/BionicSix

...un autre problème de taille surgit : si notre futur récit sera la rencontre de Little machins et de Bionic trucs, faut-il comprendre que les deux bibles et les tropes à digérer doivent s’additionner ? Au contraire, doit-on retenir seulement les tropes communs ? Ou bien doit-on caviarder, c’est-à-dire prendre un petit peu par-ci, un petit peu par-là ? Mais quel doit être le critère de choix, et qu’est-ce qui garantira à l’arrivée que le résultat final rejoindra les attentes générées par le pitch ?


Vous l’avez peut-être compris, avec ce genre d’approche, nous marchons sur la tête : nous travaillons à l’envers, nous voulons aller à un endroit extrêmement compliqué à atteindre en lui tournant le dos et les yeux fermés. C’est une garantie de perte de temps énorme et d’échec, et en plus, après un pitch pareil et le constat des divergences obligées entre le pitch et le récit livré, un producteur / distributeur / lecteur censé ne vous fera plus jamais confiance.


Bien sûr, au joyeux pays des majors qui confine à la vente forcée à des spectateurs pris en otages, et où les « amis de » peuvent prendre le contrôle de dix séries, bd, romans, ou films de suite et les planter toutes sans que cela ne pose un problème, ce conseil n’est pas valide : si vous appartenez à cette « élite », continuez de faire n’importe quoi, vous ne serez délogé que par l’un de vos amis plus avide et mieux protégé que vous, l’implosion du système ou une révolution, pour aller du plus au moins probable.

 

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Mais alors comment faire un pitch qui tienne ses promesses ? Vous devez commencer par rédiger un récit pilote complet, qui vous montreras que ce que vous promettez est faisable et comment le faire. Vous pouvez partir des bibles des récits qui vous plaisent, ou de leurs tropes les plus prometteuses, mais il faudra obligatoirement les déverser dans votre recherche d’idées (étape 1), tout démonter et tout remonter. Et forcément, vous devrez ouvrir votre récit sur le monde : l’inspiration combinée de deux récit est toujours sublimée par l’ajout d’éléments étrangers à ces deux récits.


Si vous n’avez pas envie de vous fatiguer, ajoutez simplement des éléments de vos rêves au chaudron, récit rémanent garanti à l’arrivée (un récit rémanent est un récit qui contient des idées tirées de véritables rêves, ce qui lui donne automatiquement la possibilité de parler directement à l’inconscient du lecteur – et si l’inconscient du lecteur commence à travailler pour vous, la partie a toutes les chances d’être gagnée ).


Ne laissez aucun « agent » parler pour vous et promettre n’importe quoi pour vous demander après de « produire » le récit qu’il a promis. Même si vous y arrivez, il vous fera le coup de promettre à un autre interlocuteur aussi important que le précédent quelque chose de complètement différent, parce que ce genre d’énergumène pur produit de l’action commercial croit pouvoir s’en tirer en disant aux gens tout ce qu’ils veulent entendre et après en vous accusant d’être responsable de l’échec inévitable. Si par mésaventure vous vous retrouvez avec ce genre d’individu sur les bras, contredisez-le ouvertement, ne le ménagez pas. Et débarrassez-vous-en le plus tôt possible, sans quoi vous le paierez cher, très cher.

 

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En conclusion, les Tropes sont des outils d’inspiration et de culture du récit précieux, mais ils ne sont en rien ce qu’ils prétendent être : le moyen de s’économiser le temps de tisser vos récits. Ils seront vos ennemis en terme de productivité et de puissance artistique tant que vous les copierez / collerez dans vos récits. Ils seront vos « amis pour la vie » si vous apprenez à mieux les connaître – en isolant toutes les idées qu’ils contiennent et en rétablissant toutes les opérations qu’ils impliquent dans les différentes étapes de la création de votre récit.


En matière de Tropes comme en matière d’écriture ou d’autres talents, commencez à apprendre à marcher avant d’apprendre à courir. Autrement dit, limitez le nombre de problèmes que vous aurez à résoudre en même temps.

Par exemple, prenez n’importe quelle trope, dont le titre vous plait, ou listée dans la fiche d’un récit que vous connaissez et que vous auriez voulu écrire, ou prenez une seule trope des générateurs de pitchs ou d’histoire et en avant marche, créez votre récit incluant cette unique trope en respectant bien toutes les étapes de création du récit, qui vous garantiront au moins d’arriver à un résultat, au lieu d’errer sans fin dans les limbes de la création et de la frustration.

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FIN

 

David Sicé.