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écriture

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consacré à la création de récits, de tous les genres, pour tous les media.

ECRIRE : UN APERÇU


par David Sicé.

 

*0*

Depuis la nuit des temps, les êtres humains se racontent des histoires.

Biologiquement, nous nous racontons des histoires chaque fois que nous rêvons. Créer un récit est donc une fonction naturelle de notre corps, qui ne demande aucun effort.

 

*1*

Créer un récit est un acte de communication,
c'est à dire la transmission d'un message d'un auteur à un lecteur.

Si vous oubliez le lecteur, vous videz de son sens le récit :
veillez donc à écrire pour l'autre autant que pour vous-même, quand bien même l'autre serait vous-même.

Autrement dit, ayez quelque chose d'important à leur dire.
N'écrivez pas pour faire semblant d'écrire.

 

*2*

Les genres de récits

Il n'existe que deux genres de récits :
le récit réaliste et le récit merveilleux.

Le récit réaliste prétend raconter une histoire réelle,
le récit merveilleux prétend raconter une histoire imaginaire.
Dans les deux cas c'est faux.

 

*3*

Dans tous les cas, un récit déroule un paysage de sensations, d'émotions, de postures mentales, d'impressions et de messages.

Ces objets sont ensuite déguisés en éléments rappelant des objets réels (décors, personnes, évènements), ou des objets imaginaires.

Comme ce qui est étiqueté réel ou imaginaire dépend de l'époque, de l'endroit et du lecteur, il n'y a pas de différence dans la démarche qui permet de créer un récit réaliste ou un récit imaginaire, et il n'y a pas non plus de différence de qualité ou de richesse liée au genre d'un récit.

 

*4*

En revanche, c'est en puisant dans tel ou tel réservoir d'objets réels ou d'objets imaginaires que vous construisez le genre de votre récit, qu'il soit imaginaire ou réaliste, ou qu'il corresponde à telle ou telle étiquette du moment.

Plus vous formez une collection cohérente et restreinte d'éléments, plus votre récit appartient à un genre précis. Dans le cas contraire, votre récit mélange les genres, voire sombre dans une confusion qui réclamera un très haut niveau d'écriture pour éviter le naufrage.

 

*5*

Autrement dit, pour écrire dans un genre, il faut lire un grand nombre de récits de ce genre, pour s'imprégner de ses éléments, pour parler le langage de ce genre.

Attention, lisez les récits à la source, en version originale : les traductions, les versions censurées, les adaptations (notamment filmées), les commentaires, les résumés, les thèses des uns ou des autres vous trahiront toujours.

 

*6*

La méthode

On peut écrire d'instinct, mais il est facile de s'égarer. Créer un récit passe par cinq étapes fondamentales qu'il faut éviter de sauter :

- l'envie d'écrire (de dire) quelque chose,

- la rêverie pendant laquelle les images et les idées affluent à l'esprit,

- la transcription par écrit des idées et leur organisation,

- la rédaction d'un premier jet, où l'on écrit comme ça vient,

- la révision (réécriture et corrections).

 

*7*

II faut commencer par des petits récits et être arrivé à les finir avant de se lancer dans des projets plus ambitieux.

En effet, se lancer dans la rédaction d'un roman fleuve sans avoir jamais achevé plusieurs courtes nouvelles ou courts romans relève du délire sado-masochiste.

Dans le meilleur des cas, vous vous retrouvez avec une daube illisible et impubliable et beaucoup de temps perdu que vous ne rattraperez jamais.

Dans le pire des cas, vous sortez dégoûté de l'expérience, et persuadé à vie d'être incapable d'écrire un bon récit, ce qui est faux.

 

*8*

Il faut aussi savoir que la révision prend autant de temps que le premier jet, et que chaque fois qu'on vous interrompt dans votre travail, celui-ci se complique et le risque de perdre du temps à réparer des erreurs augmente.

Il est donc très important de planifier un minimum votre temps d'écriture. Par exemple, si le premier jet d'une courte nouvelle prend une à trois heures, pendant lesquelles le téléphone ne sonnera pas, et les potes ne débarqueront pas, etc, la révision prendra une à trois heures de plus.

Ajoutons que souvent, cela fait du bien de laisser reposer un premier jet au moins le temps d'une nuit, avant d'attaquer les révisions.

 

*9*

Enfin, plus on écrit, mieux on écrit.

Donc, si votre premier récit ne vous plaît pas, le simple fait de l'avoir achevé vous donne la clé pour écrire un second récit qui vous plaira davantage. Et ainsi de suite, jusqu'au Nirvana, si l'on peut dire.

 

*10*

La documentation

 

Sans documentation, un auteur tourne très vite en rond.

Une fois fixé le sujet de votre récit, consultez durant la phase de rêverie tous les documents susceptibles d'exciter votre imagination ou de compléter votre culture en la matière.

Notez les nouvelles idées et les références utiles dans un carnet. Fabriquez vous des dossiers dans tel ou tel domaine.

Collectionnez les ouvrages encyclopédiques ou à la pointe de certains sujets, et tenez-vous au courant de l'actualité en feuilletant régulièrement les magazines.

 

*11*

Attention à la documentation venue d'Internet, elle est presque toujours incomplète et profondément distordue, comme d'ailleurs peut aussi l'être la documentation imprimée. Le vrai problème avec Internet, c'est que la distorsion peut intervenir à tout moment, et tous les jours.

Le livre imprimé que vous tenez entre vos mains ne changera pas de contenu du jour au lendemain.

Recoupez vos informations grâce à la méthode des trois points : pour un même objet de recherche, trouvez trois sources différentes (donc qui citent leurs propres sources et la date à laquelle les informations ont été recueillies), si possible de langues différentes, et s'exprimant d'une manière limpide, sans appel à autorité ("c'est untel qui dit que, donc c'est la Vérité").

 

*12*

Préférez les sources directes aux sources éloignées : l'idéal, quand ce n'est pas trop risqué, est d'avoir vécu soi-même quelque chose proche de ce que l'on veut raconter, ou encore d'avoir approché les gens que l'on veut raconter, ou encore d'avoir visité les lieux que l'on veut raconter.

Une source directe n'exclue en aucun cas le recoupement de ses informations par la méthode des trois points.

En effet, nombreux sont ceux pour qui la vie réelle n'est qu'une fiction qu'ils remodèlent à volonté selon leurs goûts, leurs préjugés, leurs craintes justifiées ou injustifiées.

 

*13*

La documentation se digère : un auteur ne recopie pas telle quelle l'information dont il s'inspire. Il la croise, l'intègre à son imaginaire, la reformule avec ses propres mots.

 

*14*

Structures

 

Un récit renferme un grand nombre de structures logiques dont la force régit l'investissement du lecteur dans l'histoire racontée par l'auteur.

Ces structures sont :

- le Corpus, c'est à dire tous les mots-idées utilisés par l'auteur naturellement reliés par des liens logiques tenant soit à la culture commune de l'auteur et du lecteur, soit à l'expérience de l'auteur, soit à l'expérience du lecteur ;

- l'encyclopédie, ces mêmes mots-idées cette fois reliés par les liens logiques spécifiques du récit écrit par l'auteur et révélés au fur et à mesure de la narration au lecteur ;

- l'histoire, c'est à dire l'ordre chronologique dans lequel les faits racontés se sont produits ;

- le scène par scène, l'ordre dramatique dans lequel les faits sont racontés par l'auteur dans le but de générer une émotion ou un message à destination du lecteur ;

- la montée en tension, les stratégies spécifiques de l'auteur pour maintenir l'attention du lecteur et toujours augmenter au fil du récit son intérêt pour l'histoire jusqu'à la conclusion libératrice ;

- le récit lui-même ou si vous préférez, l'ordre des signes (mots, ponctuations) traduisant la narration dans le langage le plus aptes à délivrer le message souhaité par l'auteur au lecteur.

 

*15*

Un récit, des intrigues

Évitez à tout prix le sempiternel récit linéaire et plat à un seul personnage principal.

Une ligne d'intrigue est une série d'événements élémentaires se composant d'un début, d'un milieu et d'une fin.

Souvent une seule intrigue supplémentaire suffit à donner du relief à un récit, donc ne croyez pas qu'il faille être un génie pour écrire de bonnes histoires solides et pleines de rebondissements.

 

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La longueur d'un récit n'a rien à voir avec le nombre d'intrigues qu'il contient : un récit court peut en être bourré, un récit long peut se limiter à très peu d'intrigues complètes (mais un minimum tout de même).

Il faut aussi savoir que le propre d'un récit est d'être un réservoir à intrigues inachevées - beaucoup de choses commencent, beaucoup de choses se passent, beaucoup de choses finissent, mais pas forcément les mêmes, et pas forcément toutes.

Autrement dit, vous ne pourrez jamais tout raconter de ce que vous racontez.

 

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Intrigues greffées, intrigues en accordéon

 

II existe deux manières de compliquer une ligne d'intrigue :

- soit vous greffez une seconde ligne à la première en usant d'un évènement commun aux deux histoires situé au début, au milieu ou à la fin de la première ligne,

- soit vous développez en accordéon la première ligne d'intrigue en incluant dans une de ses trois phases (début, milieu, fin) une nouvelle ligne comprenant elle-même un début, un milieu et une fin, fin qui débouche sur la phase suivante de la première ligne.

Surtout partez d'une ligne très simple : un récit se complique très, très vite à la première intrigue ajoutée.

 

*18*

Les personnages

Les personnages servent d'avatars, de modèles au lecteur : c'est le phénomène de l'identification. Cette identification ne fonctionnera que si ces figures trouvent un écho psychologique dans l'esprit du lecteur.

Si l'auteur tirent ces figures soit de sa propre personnalité, soit de son vécu, soit d'archétypes connus (la secrétaire modèle, Ulysse etc), cet résonance psychologique est normalement acquise.

 

*19*

Toutefois, un personnage n'acquiert de la substance que si il est représenté à travers le récit sur au moins trois dimensions :

- son apparence physique et mentale (à quoi il ressemble),

- sa réalité psychologique (qui il est réellement, comment son esprit, son corps fonctionne),

- son contexte (son entourage, son historique personnel, sa culture d'origine, le décor dans lequel il évolue et qu'il influence ou qui l'influence etc.).

Ces trois dimensions doivent bien sûr être entièrement cohérentes.

 

*20*

Enfin, un personnage réaliste existe sur plusieurs niveaux (sexe, travail, amour, idéaux etc) ou s'incarne dans plusieurs rôles (bon père de famille, bourreau, victime, criminel, chic type etc).

Il existe des liens entre ces niveaux, des mouvements de l'un à l'autre, des transformations de l'un en l'autre. Un personnage est un récit, voire plusieurs récits en lui-même.

En aucun cas vous ne devez vous appuyer sur les théories psychologiques plus ou moins fumeuses des uns ou des autres pour emprisonner vos personnages (donc vous-même et vos lecteurs) dans un schéma figé officiel, qui relève presque toujours de la propagande et de l'effet anti-Pygmalion (par exemple traiter quelqu'un comme un débile pour qu'il deviennt un débile).

 

*21*

Les descriptions

Traditionnellement, un récit intègre :

- des descriptions (mots évoquant des sensations),

- des dialogues (transcriptions de discours ou de pensées des personnages ou du narrateur),

- des effets narratifs (points de vue, jeux narratifs, raccords etc).

 

*22*

Les niveaux du récit

Pour obtenir une narration suffisamment riche pour impressionner ses lecteurs (à supposer que ses lecteurs soient impressionnés par cela), l'auteur doit travailler sur les multiples niveaux du récit :

- ce qui est écrit en toutes lettres ;

- la part de l'action montrée à travers les mots;

- la part de l'action rapportée sans déformation ;

- la part d'action rapportée de manière déformée et les raisons de la déformation ; les métaphores etc).

 

*23*

Les jeux et rites du récit

Chaque niveau du récit transmet une certaine quantité et une certaine qualité d'informations, concordantes ou contradictoires.

Les jeux narratifs visent à jouer avec l'imaginaire et la culture du lecteur, à le rendre actif durant la lecture.

Le ton et l'atmosphère jouent sur la connotation (humoristique, sombre, médicale etc) des mots utilisés pour raconter l'histoire afin de produire une réaction instinctive du lecteur.

 

*24*

Les degrés de lecture permettent de délivrer à des lecteurs très différents un plaisir équivalent sans qu'aucun lecteur se sente exclu. Un degré est un niveau d'interprétation, c'est à dire de reformulation ou d'explication du récit.

Par exemple, il est classique dans un récit pour la jeunesse, de prévoir un degré (un niveau de lecture) pour les enfants, et un degré pour les adultes, voire un degré pour les passionnés de ce genre d'histoire, un degré pour les passionnés de littérature pour la jeunesse en général etc...

Le degré de lecture tient au nombre de significations différentes que peuvent prendre une suite de mots, selon l'expérience du lecteur et le contexte de la phrase.

Lorsqu'on joue sur le degré, on se débrouille pour que la même phrase continue faire partie du récit quand le lecteur décide d'en changer le contexte.

Par ailleurs, un récit au premier degré n'utilise que le sens premier (concret ou abstrait) de ses mots. Un récit au second degré va utiliser certains de ses mots de deux manières différentes : au sens premier et dans un autre sens. Un récit au troisième degré considère le second degré comme un premier degré et utiliser cette traduction dans encore un autre sens, et ainsi de suite.

 

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Les leviers du récit

Certains mots ou certains scénarios (juxtaposition d'événements) vont toucher directement à l'équilibre neurophysiologique du lecteur, et déclencher des réactions physiques ou fantasmatiques instinctives.

Ces leviers interviennent à tous les niveaux du récit. Ce sont :

- le sexe (hormones),

- la violence (dopamine),

- la vulgarité (noradrénaline),

- l'amoralité (sérotonine),

- les jeux socio-psychologiques (équilibre psychologique),

- le langage primordial (subvocalisation hypnotique),

- l'originalité (cognition),

- l'hermétisme (réalisation),

- les niveaux d'écritures (stimulation intellectuelle),

- les partis-pris (personnalités multiples).

 

*26*

L'usage d'un levier primordial produit les effets suivants :

- ancrage accru du récit dans la réalité du lecteur,

- augmentation de la charge émotionnelle,

- perte de contrôle du lecteur sur lui-même, jusqu'à la sidération, ou le rejet pur et simple.

 

*27*

La censure d'un levier primordial produit les effets suivants :

- idéalisation du récit (diminution de l'ancrage du récit dans la réalité du lecteur),

- affaiblissement de la charge émotionnelle,

- illusion d'un contrôle accru du lecteur sur lui-même, qui entraîne une acceptation facilitée de la part du public soumis aux normes de la censure, ou un rejet par les lecteurs ne supportant pas les normes en question.

 

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Le style

Le style ou plutôt la rhétorique vise à souligner par la forme le message délivré au fond par le texte.

Cette technique s'appuie sur les procédés suivants :

- la saillance (mise en avant de l'élément le plus important en le renvoyant par exemple à la fin de la phrase ou au contraire en le mettant au début),

- le rythme (imprimer un rythme, un ralentissement ou une accélération de l'élocution mentale en jouant sur la longueur des mots ou des groupes de mots),

- la complexité et la transparence (à apparence complexe du fond, structure complexe de la forme et inversement),

- la tension (par exemple dramatisation d'un paragraphe par le rejet du groupe de mot le plus important ou au contraire désamorçage du suspens par l'annonce des transitions),

- le mimétisme linguistique (allitération, assonances, langage primordial),

- le mimétisme temporel (l'effet suit la cause etc), mimétisme de la pensée (par exemple présenter les informations dans un ordre logique ou au contraire dans l'ordre chronologique),

- la cohésion (répétitions volontaires de certains mots ou au contraire utilisation de mots porteurs du même sens en remplacement).

 

*29*

Si vous débutez, ou si vous rencontrez des difficultés en écriture, ou encore si vos récits ennuient vos lecteurs plus qu'autre chose, bannissez toute recherche stylistique de votre récit, et revenez à des phrases simples, courtes, limpides : sujet, verbe, objet, complément, point.

Si vous arrivez à écrire simplement, vous pourrez ensuite insérer un effet stylistique à la fois, en sachant exactement pourquoi vous utilisez cet effet, et comment exactement il augmente le plaisir de la lecture, et la richesse de votre récit.

 

*30*

Cet article est tiré de mon manuel l'Art du Récit.

Les techniques citées s'adaptent à toutes les écritures, pour tous les media (musique, image, bandes dessinée, film etc.).

Si ce qui est écrit ici vous paraît trop obscur, ou encore trop difficile à atteindre, n'ayez aucune inquiétude : cet article a seulement pour but d'attirer votre attention sur des aspects du récit.

Maintenant que vous êtes alerté, vous les détecterez plus facilement, et vous les maîtriserez plus vite.

Ecrivez, et écrivez encore, sans contrainte, sans effort : l'écriture est comme la parole, un moyen de dire, et un plaisir.

Rien de plus et rien de moins.

 

David Sicé.

 

FIN