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STRIKE

GOUTER LES ETOILES

LUNDI 29 AOUT 2005

Tous droits réservés : texte David Sicé, illustrations : leurs auteurs.

 

 

GRANDS YEUX

David Sicé

 

A Pierre Christin et J.C. Mézières,

...un grand merci !

 

 

La première fois que j'ai rencontré un astronaute ?

Je m'appelle Johnny Marco Destinée : J'ai cinq ans ; j'en parais treize ; j'en pense comme vingt-cinq. Elevé dans les Faubourgs – ces espaces urbains entre les mégapoles, pleins de gens, de leurs clones, de leurs robots et de leurs avatars.

Comme tout le monde, j'ai pris un ascenseur orbital ; j'ai fait « Oh, ah ! » à la vue de notre magnifique planète grise, puis j'ai réactivé ma puce Ninsodo pour des aventures beaucoup plus passionnantes... interrompues en toute injustice par mon tuteur.

« Oh, la barbe !

— Je ne te comprends pas, Johnny "M", répondit mon tuteur. Tu as toujours souhaiter rencontrer un astronaute, et maintenant que tu en as l'occasion, tu te retrouves encore à jouer aux Nouveaux Mondes de l'Art de la Guerre !

(N-Marg, pour les intimes.)

— Normal que tu ne comprennes pas tout, je répondis (je me souviens de cette conversation comme si c'était hier) : une intelligence artificielle, c'est un peu comme une blonde teinte en... »

Et soudain, je réalisais qu'Il était là.

Oh, il y avait aucun doute à avoir là-dessus, c'était bien un astronaute. Non, pas à cause de l'uniforme – n'importe qui aurait pu en emprunter un, mais à cause de... enfin, vous savez quoi. Le truc qui arrive à tous les astronautes dès qu'ils commencent à voler pour de vrai et qui se voit comme le nez au milieu de la figure.

En fait, cela faisait longtemps que nous avions quitté le terminal de l'Ascenseur Orbital. Mon tuteur m'avait fait prendre une dérivation vers l'hôtel-couchette, histoire de m'épargner l'embouteillage des accès ordinaires. C'était un couloir de service qui s'était révélé complètement désert.

Désert. Un truc putain d'angoissant !

Et l'arti m'avait réveillé quand je m'étais retrouvé nez à nez avec... l'Astronaute. Le couloir était étroit. Il voulut passer par la gauche, mais je m'étais poussé à gauche. Je m'écartais aussitôt à droite – tandis qu'il voulait passer à droite. Je m'immobilisais. Lui aussi. On se mit tous les deux à rire.

« Mais d'où tu viens, toi ?, il me demanda.

— La Section Sud-Ouest de l'Ancienne Méditerrannée.

— Et c'est bien ?

— C'est là où les filles sont les plus jolies et les mecs les mieux barrés !

— Je me disais bien en te voyant que ça pourrait pas être le contraire. »

Je cherchais quelque chose d'intelligent à dire – peut-être une question ?

« Tu joues aux N'Marg ?

Il éclata de rire :

« Mon gars, j'suis astronaute : les seuls nouveaux mondes qui me boostent les neurones sont les exo-planètes de notre galaxie, et crois-moi, là-bas, y'a pas besoin de puce Ninsodo pour tripper sa mère !

— Hey, je répondis : j'suis pas un mental. J'en ai déjà vues des exo-planètes. Même que j'ai piraté l'add-on Terran Bubble de Sonny Hawk.

— L'add-on de Sonny Hawk ?, répondit l'Astronaute avec un sourire en coin. Dis, ça te dis de faire un truc complètement illégal ?

— Illégal ?, je répondis : pourquoi pas ? 

— Top là ! Moi c'est Ed. »

Je le suivi à travers le dédale des coursives et des sas. On arrivait dans un endroit plus vaste, une sorte de grand couloir mal éclairé avec un rail magnéto au plafond. Ed l'Astronaute se retourna. Il était bien sûr largement plus grand que moi, et avec l'éclairage l'éclairage principal dans son dos, et les veilleuses rouges au sol, il avait soudain l'air beaucoup plus inquiétant que tout à l'heure. Il dit :

«  T'es vraiment un mental, toi : on t'as jamais dit de ne jamais suivre le premier venu dans un coin sombre ? »

Oups. J'avais peut-être joué au con sur ce coup-là. Je répondis, d'une voix aussi ferme que possible :

« T'es pas le premier venu. T'es un Astronaute !

— Et toi, t'es vraiment un mental ! »

Il souleva la portière d'une espèce de grosse voiture de course garée sous le rail magnétique au plafond.

« Saute là-dedans, ouste ! »

Le fauteuil était plutôt confortable. Ed grimpait de l'autre côté. La voiture démarra.

« Euh, où on est, là ?

—- Quoi, tu reconnais pas ? C'est pas dans ton add-on ? Allez, mets ta ceinture ! Quel empoté ! T'as fumé où quoi ? »

J'étais comme anesthésié. D'habitude, les jeux RV, ça vous rend plutôt hyperéactif, mais là, franchement... Je répétais, comme un mental :

« Ma fumée ? Quelle fumée ?

— Ma Rem ? J'ai oublié un truc à la maison... »

Ed parlait à l'évidence à quelqu'un d'autre.

« Tu m'autorises un saut de puce ? Bise ! »

Il attrapa le manche à balai. Le couloir se mit à défiler.

« Comment ça marche ?, je demandais. Est-ce que je peux... ?

— Allez, maintenant ouvre grand tes yeux ! », répondit Ed.

Le couloir fut avalé par un grand ciel noir. Classique. Ennuyant.

« Qu'est-ce que je suis censé voir ? 

— Ton univers ! »

Le ciel noir se constella d'étoiles, et d'aurores boréales, et de nuages filamenteux, et d'oeils de chat qui dérivaient jusqu'à perte de vue.

« Y'a pas moyen de virer le pare-brise ?, je demandais : on croirait regarder un vieux seize-neuvième ! »

Ed m'envoya une taloche dans la tête :

« Mental ! »

L'Astronaute inclina son manche à balai. La ribambelle d'oeils de chat bascula.

« Eta Carina ? Non, trop touristique... Cancri 55, oui : complètement sauvage, et il y a encore plus d'extraterrestres là-bas.

— Des extraterrestres ?, je m'écriais : mais ça n'existe p... »

Et à cet instant, je devins sourd, aveugle et privé de toute sensation. Un peu comme si on avait débranché ma puce Ninsodo en oubliant de rebrancher mon cerveau...

 

***

 

Une lumière confuse. Un ciel bleu – trop brillant. De l'herbe, à perte de vue – trop froide. Et des tintements de cloches. Je me relevais à demi. Ed me mit complètement debout.

« Ça va aller mon gars ?

— Je crois... » (en fait, mes jambes flageolaient plutôt moins que d'habitude.) « Qu'est-ce qui m'est arrivé ?

— C'est de la camelote, le matos que t'as dans ton crâne de mental, répondit tranquillement Ed. Tout a dijoncté. T'inquiète : ça arrive à tout ceux qui font le grand saut pour la première fois. Et crois-moi, c'est le truc le plus génial qui pouvait t'arriver : comme une seconde naissance ! »

Des goélands planaient autour d'eux. Ils étaient entourés de montagnes.

« Je te trouverai un crâneur pour te retirer tes morpions. Tu peux marcher, maintenant ?

— Ouais, je répondis. C'est quoi un crâneur ?

— Un chirurgien extraterrestre spécialisé dans les systèmes nerveux.

— Et mon arti ?, je m'écriais.

— T'es tout seul dans ta tête, maintenant. Au fait, ta famille t'attends là-bas, dans l'un des chalets flottants.

— Ma famille ? Alors c'était un coup monté ton truc illégal !

— Un peu, mais illégal quand même. C'est bien toi qui voulait devenir Astronaute, non ? 

— Oui, mais... »

Je regardais encore une fois autour de moi. La voiture - ou plutôt la petite barge interstellaire s'était posée au milieu de la plaine immense. Les montagnes devaient être très grandes pour paraître aussi hautes, d'aussi loin. Je regardais à nouveau le visage souriant de Ed.

« Mais je n'sais pas trop si je voudrais avoir les mêmes yeux que toi. Ça fait un peu trop manga d'avoir des trucs aussi grands. »

 

FIN

 

 CAPTAIN STRIKE est un fanzine électronique

de courts récits de space opera .

Texte tous droits réservés David Sicé.