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Ecrire : Ecriture et transcendance
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par David Sicé
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Qu'est-ce qu'un bon récit ? Un vraiment bon récit ? Un excellent récit ?
Sur ce sujet, beaucoup deviennent mystiques ou particulièrement obscurs.
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On peut aussi disserter jusqu'à la nausée sur le fait que personne n'est d'accord sur ce qu'est une bonne histoire, ou ergoter sur le point qu'une bonne histoire pour un lecteur peut être une mauvaise pour un autre etc. etc. Ce qui nous permettra de ne jamais répondre à la question initiale.
Or le temps perdu ne se rattrape jamais.
Il existe pourtant quelques pistes à explorer lorsqu'on cherche à écrire un récit qui sorte de la médiocrité.
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Parler de ce qui nous touche vraiment
On n'écrit pas un bon récit sur un sujet qui nous laisse froid. Si notre écriture doit prendre aux tripes quelqu'un, il est logique que ce quelqu'un commence par être nous-mêmes.
Réfléchissez alors quelques secondes (prendre plus longtemps ne devrait pas être nécessaire). Qu'est-ce qui vous fait vraiment réagir, du plus profond de votre être ? Mieux. Quand vous sentez monter en vous cette réaction de curiosité, colère, d'excitation, de révolte, de tristesse, de jubilation, notez à propos de quoi.
L'élément déclencheur peut-être une information, un incident, une image, un rêve, une musique, un lieu, une personne, n'importe quoi. Notez-le, et demandez-vous qu'est ce qu'il y a de vraiment important caché là-dessous.
Vous tenez à présent un fil. A vous de découvrir ce qu'il y a au bout.
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Inutile de se forcer
Un bon récit n'a pas besoin d'un travail considérable, notamment sur le style. II peut réclamer une grande préparation, une plus grande maturité. Un auteur se dira souvent qu'il n'est pas encore prêt pour concrétiser certaines de ses idées.
Cela peut très bien être un prétexte pour ne pas écrire, mais cela peut aussi être le signe d'une décantation en cours d'achèvement : tous les éléments tournent encore dans la tête, tous les liens se font et se défont, mais un élément ou un lien vous échappe encore, pour que votre cerveau fasse « tilte » et les mots (les images) du récit jaillissent, prêts à être rédigés (dessinés, composés etc.).
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Mais lorsque vous sentez que vous êtes prêt — ou encore lorsque vous avez fait tout ce qui vous paraît nécessaire pour être prêt —, il faut y aller , sans prendre le temps de faire dans la dentelle.
A la limite la réécriture est faite pour ça : travailler sur les détails, approcher un idéal, être à la hauteur d'un modèle, satisfaire les goûts les plus sophistiqués ou au contraire rassurer les goûts les plus frustres.
Cependant, la plupart des auteurs vous diront que la première version d'un récit est souvent la meilleure.
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Enfin, tout le plaisir que vous pourrez prendre à l'écriture a toutes les chances de passer à votre lecteur, en même temps que le récit lui-même (ou tout au moins, les quelques niveaux ou bribes de niveaux que ce lecteur aura capté, selon son expérience et son attention du moment).
A l'inverse, plus vous souffrirez en écrivant, plus vous avez de chance de fatiguer votre lecteur.
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Allez au bout de notre idée
Beaucoup trop de récits s'arrêtent au moment où les choses deviennent intéressantes. Les auteurs se disent qu'ils en ont fait assez, que c'est à l'imagination du lecteur de faire le reste et ainsi de suite.
Ce sont autant de prétextes pour décevoir les attentes de leur public et pour se lamenter ensuite de ne pas avoir été apprécié à sa juste valeur. Pardonnez-leur ô Père, ils ne comprennent rien à mon génie, à l'Art etc.
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D'autres ont peur de choquer, ou de trop se livrer à travers leurs écrits. Avec un peu de recul, on constate : « Je suis tout nu, là », ou bien « Non, je ne peux pas écrire cela ». Bref, cachez ce sein que je ne saurais voir.
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Et si vous avez le malheur de faire lire vos premiers jets à vos proches, vous pouvez être certains qu'ils sauront trouver les mots pour vous dissuader d'écrire autre chose que du convenu, de l'anodin, du divertissant (au sens de diversion). Sans se priver pour autant, après quoi, de vous accuser de n'écrire que des choses sans valeur, du commercial. « Oh, on sait bien qu'il / elle ne fera jamais de la grande littérature ».
Et pour cause, puisque ce charmant entourage travaille dur pour que leur fiction devienne votre réalité.
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Il ne s'agit pas pour autant de provoquer pour provoquer, de choquer pour choquer. Dans ce cas, vous seriez juste un clown de plus, que vous donniez dans le gore ou dans le larmoyant humanitaire.
Dépassez les apparences. N'ayez pas peur, ne mâchez pas vos mots, tirez toutes les conclusions, n'hésitez pas à aboutir à des situations outrées, extrêmes, à un point qu'elles en deviendront jubilatoires — dans la noirceur comme dans la lumière.
Au moins, il se sera passé quelque chose.
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Après quoi, vous pourrez toujours vous censurer pour faire plaisir à vos proches, pour vous protéger des procès, des petits chefs et des frustrés et ainsi de suite. Mais là au moins, non seulement vous saurez comment écrire un récit digne de ce nom, et vous saurez pourquoi ce que vous venez d'écrire n'en est peut-être pas un.
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Tout tient dans les personnages
Vous êtes un être humain (ou, si vous êtes un animal ou un extraterrestre, un être pensant comme les êtres humains). Votre lecteur est un être humain (un être pensant). Donc l'essentiel de la qualité de votre récit dépendra de votre talent à mettre en scène des personnages, à véhiculer l'émotion humaine.
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Un personnage est ce qu'il parait être, ce qu'il est plus profondément et ce qui l'entoure. Il doit être facilement identifiable au premier abord (archétype, stéréotype), tout en se révélant unique au fil du récit (par exemple, l'histoire d'une secrétaire, ce qui rend cette secrétaire unique, ce qui en fait une personne).
Les moyens de véhiculer ce genre d'informations à travers un récit sont innombrables (dialogues, actes, pensées, décors, accoutrements, contrastes et ainsi de suite).
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Les personnages renvoient enfin à des figures, des rôles qui entrent en résonance avec la psychologie intime du lecteur. Si vous n'arrivez pas à créez un personnage vraisemblable, observez les gens qui vous entourent et prenez ce qui vous intéresse.
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Là encore, n'oubliez pas à quel point la censure est à l'œuvre quand nous mettons en scène nos personnages. D'abord, nous ne voulons écrire que ce qui nous plaît ou nous déplaît dans les personnages qui nous sont chers ou que nous haïssons.
Ensuite, pour l'immense majorité des auteurs, nous vivons au pays des Bisounours ou au pays du Grand Capital – ou en tout cas dans une représentation de la réalité qui nous arrange, et pas la réalité.
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Enfin, pour une immense majorité des éditeurs ou des lecteurs, il est exclus d'éditer ou de lire des personnages qui ne sont pas conforme en tout point aux croyances qu'ils veulent entretenir ou propager dans le monde.
Cela ne veut pas pour autant dire que vous ne serez pas publié ou lu par des gens qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas voir les choses telles que vous les aurez décrites (volontairement ou inconsciemment).
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Ce n'est qu'à un seul moment que nous nous retrouvons tous sur la même longueur d'onde, si l'on peut dire : tout récit contient beaucoup plus d'informations inconscientes que la surface de ses mots. Cela est aussi vrai pour vos personnages.
C'est donc à ce niveau de l'impact inconscient que va réellement se jouer la bataille pour un récit qui vaille la peine d'être lu / raconté / joué / vu.
Voilà pourquoi dans des séries codifiées, mal traduites et passées à la moulinette de l'édition pour la jeunesse comme Le Club des Cinq d'Enyd Blyton ou Alice de Carolyn Quine, on peut encore constater une sacrée différence de niveau entre les premiers épisodes écrits par l'auteur et les plus récents, écrits par des substituts.
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Montrer plutôt que commenter
Votre récit est un message d'un être humain (pensant) à un être humain (pensant). Son impact dépend de sa capacitéà imiter la perception, la mémoire humaine.
Voilà pourquoi le discours de l'auteur au lecteur gagne en impact chaque fois qu'il fait appel à des termes provoquant une réaction sensorielle : « couleur » ne veut rien dire, « rouge » saute aux yeux.
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Mais il existe aussi dans un récit, des structures supérieures aux mots ou même aux phrases ou aux paragraphes.
Si vous écrivez une chanson, vous l'organisez en refrains, en couplets, en ponts. Si vous écrivez une poésie, vous pensez au rythme des mots, à la manière dont les sons et les images viennent et reviennent.
Si vous dessinez ou si vous peignez un tableau, vous arrangez des éléments dans l'espace de la feuille blanche ou de la toile, la profondeur, les alignements et les lignes de forces ;vous jouez sur les rapports entre les couleurs, leur intensité, leur pureté, les lumières et les ombres.
Si vous tournez un film, si vous sculptez, si vous mettez en scène un spectacle de marionnettes, de théâtre ou de danse, ou encore, tout simplement si vous vous déplacez dans un espace (en randonnée, au musée) ou si vous jouez à un jeu vidéo, vous jouez sur les points de vue sur un même objet, le cadre de cet objet (contexte), la compagnie qui vous entoure, votre état d'esprit au moment où vous explorez ce nouveau monde, la vitesse à laquelle vous progressez et combien de foisvous revenez dans votre vie à votre exploration, pour découvrir de nouveaux aspects, qui vous avaient échappé jusqu'ici, alors que vous étiez moins âgé, ou que vous n'aviez pas encore eu d'enfants, ou que vous n'aviez pas encore visité Paris pour de vrai, par exemple.
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Hé bien, un récit, c'est tout cela à la fois, et plus encore. Inutile de s'affoler : vous n'avez pas tant à apprendre sur les structures des récits, que d'en être conscient. Le récit est comme un orchestre symphonique qui jouerait plusieurs partitions différentes, dans plusieurs lieux très différents en même temps – mais d'un seul auteur : vous-même.
Et en plus, il est capable de jouer des musiques extrêmement denses et complexes sans que vous ayez à entreprendre quoi que ce soit dans ce sens.
Alors écrivez (lisez etc.) et soyez simplement attentif à tout ce qu'il vous chante. Vous apprendrez énormément, et surtout, en tant que chef d'orchestre invité mais privilégié, vous apprendrez à communiquer avec cette formidable créature qu'est le récit, et, je l'espère, à l'apprivoiser.
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Jouer avec le lecteur
L'auteur doit se mettre à la place de son lecteur, à chaque étape du récit.
Quand on commence sa lecture, on s'imagine par avance ce qui pourrait arriver, et on ne cesse de comparer ces projections à ce qui arrive effectivement.
Donc, au fur et à mesure de la lecture, et pour chaque lecteur, et à chaque nouvelle lecture, c'est un nouveau récit, un récit « fantôme » qui s'écrit, spontanément, sans aucun effort, et par pur plaisir.
L'auteur est de fait le maître de ces hypothèses, échafaudées sur les informations qu'il a effectivement donné, sous-entendu ou laissé croire. Lorsque vous écrivez, vous devez donc pensez à alimenter cette extraordinaire pompe imaginaire que sont les récits fantômes parallèles à ceux que vous écrivez.
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Par ailleurs, une part non négligeable du plaisir d'écrire
vient des récits fantômes que vous-même, auteur, vous créez en même temps que vous imaginez votre récit, au fur et à mesure que vous le transcrivez par écrit lors du premier jet, et au fur et à mesure que vous corrigez votre récit, lors de la révision.
Il s'agit d'un fantasme, qui peut aller jusqu'à prononcer effectivement les paroles de vos héros, voir sur l'écran mental immense de votre imagination, se projeter le fil de votre action, reconstruire en cartes, plans, voire maquettes ou grandeur nature vos décors et accessoires favoris, comme le salon privé de votre détective ou le costume de votre héroïne.
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A ce titre, les récits « fantômes » sont les véritables moteurs de l'écriture : ce sont eux qui vont vous pousser à avancer, et surtout à aller jusqu'au bout de la transcription complète et effective de votre œuvre.
A la condition bien entendue que vous ne soyez pas de ceux qui estiment qu'une histoire ou un savoir passionnant peut être perdu sans que cela ait la moindre importance. Attitude qui n'est rien d'autre que l'apologie de la barbarie.
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Bien sûr, prenez garde à ne pas vous perdre dans vos fantasmes. Mais si, encore une fois, vous êtes là pour écrire, et nonpour faire autre chose en prétendant écrire, ce n'est pas un problème.
En effet, l'écriture, comme tous les arts et comme tous les comportements qui ne relèvent pas de la seule survie, demeure un moyen de nous séparer de bon nombre de pensées qui nous encombreraient ou nous rendraient malades si on les laissait tourner sans arrêt dans notre tête, que ce soit sous forme de purs fantasmes ou d'obscurs leviers de contrôle de notre vie.
Sur ce, qu'est-ce que vous faites encore à lire cet article ?
Allez plutôt écrire, et goûter à la transcendance...
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***Fin de l'article***
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