« Hé, vous tous ! appela le nain Angélino en frappant avec ses couverts sur la table : Faisons-en l'une des nôtres ! Une Coupe d'Amour ! »
Il grimpa sur la table tandis qu'on lui passait une énorme coupe de cristal remplie de punch.
«Nous L'acceptons, L'une des nôtres ! commença la Vénus de Milo Vivante en frappant sur la table.
— Nous L'acceptons, L'une des nôtres ! répétaient en choeur tous les convives, tandis qu'Angélino passait la coupe aux uns et aux autres pour qu'ils puissent y tremper leur lèvres.
— Nous l'acceptons, L'une des nôtres ! répétaient la Femme A Barbe et Joséphine Joseph.
— Nous L'acceptons, L'une des nôtres ! » répétaient tous les nains, les difformes, et les estropiés.
« Ils vont faire de toi l'une des leurs, mon Oiseau du Paradis adoré ! » signala Hercule à Cléopâtre, qui suffoquait de rire.
La trapéziste, elle cessa de rire et se leva lentement, tandis que le nain avançait en marchant sur la table, allant de convives en convives. Angélino tendit la Coupe d'Amour à Johnny, le garçon sans jambes, à Koo-Koo la femme oiseau, puis à Schlitze la fille à la tête d'épingle.
Cléopâtre frémit de dégoût : La coupe approchait, souillée de la salive de toutes ces créatures atroces, et elle, la superbe, la parfaite, la Reine des Airs irait tremper ses lèvres dans cette soupe infernale ? Hercule s'était lui aussi mis à taper sur la table en scandant « Une des nôtres, une des nôtres ! », lorsque Angélino tendit enfin la Coupe d'Amour à l'Oiseau du Paradis.
Cléopâtre la lui arracha des mains et en fixa le fond comme si c'était un nid de serpents.
« VOUS ! hurla-t-elle. Vous n'êtes que des sales ... des visqueux ... AFFREUX ! »
Le tintamarre s'interrompit autour d'elle.
«AFFREUX ! répéta Cléopâtre, disparaissez ! »
Et elle balança le contenu de la Coupe d'Amour à la figure d'Angélino.
« Vous avez entendu ? beugla Hercule en se levant, et en brandissant ses poings : Disparaissez, TOUS ! »
Les invités refluèrent, tandis que Cléopâtre continuait de hurler :
« VOUS, espèces d'ORDURES ! Faire de moi l'une des vôtres ? N'avez vous pas de pudeur ? »
Elle se tourna alors vers Hans, qui s'était tassé sur sa chaise :
« Et alors, toi , qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle. Qu'est-ce que t'es ? Un homme ou un bébé ?
— S'il te plaît, supplia Hans : tu me fais honte !
— Honte ? Toi ? s'écria Cléopâtre. Ça c'est le BOUQUET ! »
Elle avait hurlé, levant les bras au ciel. Puis Célopâtra se pencha sur le nain :
« Qu'est-ce que tu attendais ? Que Maman joue avec toi ? Que Maman joue au petit cheval ?
— Ah, ah, c'est trop drôle ! s'exclama Hercule en se tapant sur la cuisse : au petit cheval ! »
L'Homme le Plus Fort du Monde souleva le nain de sa chaise et le déposa sur les épaules de son épouse, qui éclata de rire.
« Allez VIENS ! beugla Hercule : Maman va te porter jusqu'à la maison ! »
Et il arracha la clarinette des mains des sœurs siamoises pour en faire jaillir des sons perçants, tandis que Cléopâtre galopait tout autour de la table devant le reste de la noce médusée.
« Au pas, au pas, au trot, au trot, au galop... ! »
Adaptation française de David Sicé, 2006.
D'après le film de Tod Browning « Freaks ou la monstrueuse parade », d'après un scénario de W. Goldbeck, L. Gordon, E. A. Woolf, Al Boasberg, lui-même tiré de la nouvelle « Spurs » de C. A. Robbins.
Tous droits réservés 2006.