L'ENFANT CREUX
D'après Stephen Moffat.
CHAPITRE UN
L'objet volant non identifié filait à travers le vide étoilé. Il tanguait, virvoltait, changeait sans arrêt de direction. C'était un cylindre de métal grisâtre, sans véritable signe distinctif. Une espèce de torpille sans tête explosive. Ce qu'on pouvait dire de plus étrange à son sujet, était qu'elle était poursuivie par une cabine téléphonique d'appel d'urgence de la police anglaise des années cinquantes.
« C'est quoi l'urgence ? », demanda Rose .
C'est Mauve, répondit le Docteur.
Mauve ? »
La jeune fille voulut rejoindre l'extraterrestre de l'autre côté des commandes circulaires du TARDIS, mais le vaisseau spatio-temporel avait pris terriblement de gîte, aussi devait-elle plusieurs fois se cramponner à la rampe, avant d'atteindre son objectif.
« Universellement reconnue comme la couleur du danger, expliqua le Docteur.
Qu'est-ce qu'ils ont fait du rouge ?, répondit Rose.
Ça c'est juste humain, répondit le Docteur. Du point de vue de tous les autres, rouge ça fait outré. Oh, tous ces quiproquos, toutes ces alertes rouges, et allons-y, secouons ! Ce truc a un système de guidage très basique. Je l'ai piraté, lié au Tardis : où qu'il aille, nous allons.
Et ça, c'est sans danger, non ?
Totalement. »
Et la console de pilotage explosa sous les mains du Docteur. La flamme monta pratiquement jusqu'à son visage, et les étincelles retombèrent tout autour de lui : « Okay, raisonnablement ! J'aurais dû dire 'raisonnablement' là... »
L'écran vidéo du Tardis montrait toujours l'ovni, mais cette fois, celui-ci plongeait à travers des cercles de flammes bleutées.
« Non, non, non, non ! , s'exclama le Docteur : il saute des sillons temporels, il nous échappe !
Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?, demanda Rose.
Aucune idée !
Alors pourquoi on le poursuit ? »
Le Docteur releva la tête du tableau de bord : « C'est Mauve et dangereux. Et à moins de trente secondes du centre de Londres. »
Le globe tranquille de la planète Terre s'avançait à l'écran. L'ovni s'y précita. Et avec lui, le TARDIS.
CHAPITRE DEUX
Le TARDIS se matérialisa dans une ruelle étroite, par une nuit claire. Le Docteur et Rose en sortirent :
« Tu sais combien de temps on peut se balader dans l'espace sans avoir à repasser par la Terre ?
- Cinq jours ?, proposa Rose. Non, ça c'est le temps d'arriver à court de lait.
Avec toutes les espèces dans tout l'univers, il fallait que cela sorte d'une vache. »
Les deux explorateurs scrutaient l'obscurité.
Et quelqu'un d'autre, dans l'obscurité, scrutait leurs visages, à travers le verre dépoli.
« Il a dû tomber quelque part pas loin... », reprit le Docteur. A un kilomètre d'ici, pas plus.
Ils se mirent à descendre la rue.
« Et cela ne doit pas remonter à plus de quelques semaines. Peut-être un mois, continuait le Docteur.
Un mois ?, répondit Rose : nous étions juste derrière !
Il n'a pas arrêté de sauter des sillons temporels. On était forcé d'arrivé un peu à côté. Tu veux le volant ?
- Ouais... », elle maugréa.
La rue continuait de descendre, après un virage en épingle à cheveux.
« C'est combien, un peu ?, demanda Rose.
- Un rien.
Et c'est quoi exactement un rien ?
- Un chouillla ? »
Le mystérieux observateur les suivaient de son regard voilé.
« C'est quoi le plan alors ?, reprit la jeune fille : Vous allez détecter les engins extraterrestres?
Rose, il est tombé en plein centre de Londres en faisant un grand 'bang'. Je vais demander. »
Le Docteur présenta à Rose son porte-carte.
« Docteur John Smith, Ministère des Astéroïdes... , déchiffra la jeune fille.
C'est du papier extra-lucide, expliqua le Docteur : il vous montre tout...
...Ce que vous avez envie de voir, je m'en souviens.
Désolé. »
Ils étaient arrivé à un cul de sac : un mur, une porte dans le mur.
« Pas très Spock, non ?, fit Rose, de juste... demander ? »
Le Docteur avait pressé son oreille contre la porte. :
« Porte, musique, gens. Qu'en penses-tu ? »
Le docteur sortit son tournevis sonique et s'agenouilla pour trafiquer la serrure. « Je pense que vous devriez détecter les engins extraterrestres, répondit Rose. Faites-moi Spock, juste une fois, ça vous tuerait ? »
Le Docteur regarda Rose :
« Tu crois que ce tee-shirt va bien ? »
Rose portait sous sa veste un superbe drapeau britannique.
« Trop tôt pour le dire, répondit Rose après vérification. Je l'ai mis pour voir. »
Le Docteur ne l'écoutait même pas. Rose dressa soudain l'oreille.
« Maman ? », appelait une voix d'enfant dans le lointain.
La jeune fille s'éloigna de quelques pas, pour essayer d'entendre d'où ça venait. Elle apercevait la cabine brillamment illuminée du TARDIS juste au-dessus d'eux. Mais pas d'enfant.
« Viens si tu veux, dit le Docteur, qui avait ouvert la porte : Ça ne prendra qu'une minute. »
Sans attendre la réponse de Rose, il disparut à l'intérieur de l'édifice.
« Maman ? » appela encore l'enfant.
C'est alors que Rose l'aperçut : C'était un tout petit enfant, perché sur quelque chose de plus haut que la cabine du TARDIS. Son visage était plongé dans l'obscurité. La lumière lui faisait comme une auréole autour de la tête.
« Docteur, il y a un gamin là-haut ! », cria Rose. Elle remonta la rue. L'enfant portait un masque à gaz. Rose accéléra son pas.
CHAPITRE TROIS
Pendant ce temps, le Docteur avançait dans une arrière-salle plongée dans la pénombre encombré de malles et d'autres objets difficiles à identifier. La musique venait d'un passage au bout d'un couloir attenant, fermé par un rideau de perles. Un serveur en veste blanche se dirigeait justement vers là-bas, un plateau chargé de consommations à la main. Le Docteur le suivit sans hésiter. Le serveur écarta le rideau de perles, derrière lequel se trouvaient des clients attablés.
C'était un café-théâtre, à la clientèle élégante et discrète. Sur la scène, des musiciens accompagnait une jeune femme magnifique, aux épaules couvertes d'un boa blanc. Elle chantait dans le micro façon années quarantes :
« Car personne n'a su, me captiver, et même d'un silence, me persuader... »
Le Docteur écarta à son tour le rideau de perles. Les tables étaient éclairées à la bougie, beaucoup de gens fumaient. La chanteuse lui sourit :
« Que c'était bien vous, merveilleux vous... »
***
Dehors, Rose était revenu à la hauteur du TARDIS. L'enfant était toujours perché au-dessus d'elle.
« Est-ce que ça va là-haut ? », appela-t-elle. « Maman... », répondit l'enfant. Rose trouva un petit escalier de secours, qui montait le long de la façade.
***
« Que c'était bien vous ! », acheva la chanteuse, avec un dernier regard pour le Docteur.
Celui-ci, aux anges, s'était adossé au mur près du rideau de perles. Elle salua, et remercia d'un geste les musicens, tandis que le Docteur applaudissait avec énergie. A peine la chanteuse avait-elle abandonné le micro, que le Docteur s'y précipitait :
« Excusez-moi, excusez-moi : pourrais-je avoir l'attention de tout le monde, juste une minute ? Je ferais vite ! »
Etonnés, les gens cessèrent d'applaudir.
« Bonjour ! », salua le Docteur des deux mains.
Le micro émit un sifflement. « Euh, ça va peut-être vous sembler une question stupide, mais... »
Et là, le Docteur observa avec une grande attention les réactions du public :
« Est-ce que quelque chose est tombé du ciel, récemment ? »
Un silence mortel lui répondit. Puis quelqu'un se mit à rire. D'autres le suivirent. Puis carrément la salle entière explosa de rire.
***
Cette fois, Rose y était : en haut de l'escalier se trouvait... une terrasse. Et l'enfant était perché au sommet d'un hangar. L'enfant regardait autour de lui. Il devait chercher un moyen de descendre.
« Okay, ne bouge pas ! », cria la jeune fille.
Rose avait beau chercher, elle ne voyait aucun moyen d'escalader le mur de tôles. C'est alors qu'une corde lui passa en dansant devant le nez. Rose l'attrapa. Elle tira dessus plusieurs fois. La corde semblait solidement attachée.
***
Dans le club, les gens riaient toujours du Docteur.
« Désolé, est-ce que j'ai dit quelque chose de drôle ?, il demanda : C'est juste qu'il y a ce truc qu'il faut que je retrouve... Il a dû tomber du ciel il y a quelques jours. »
Les gens continuaient à rire de plus belle. Soudain, des sirènes se mirent à sonner. Les clients commencèrent à se lever. D'autres prenaient le temps de vider leur verre. La chanteuse quitta précipitamment la salle.
« Il a dû atterrir pas loin d'ici... », insistait le Docteur.
Mais cette fois plus personne ne riait : tout le monde s'en allait.
« ... En faisant un très gros...
Aussi vite que vous pouvez, aux abris ! », disait le serveur.
Alors le Docteur aperçut au mur une affiche de la Défense Civile. Elle disait : Hitler ne vous enverra pas d'avertissement. Et en dessin, des bombardiers nazis qui descendaient du ciel.
« ... bang. », acheva le Docteur, parfaitement déconfit.
CHAPITRE QUATRE
Pendant ce temps, Rose avait réussi à grimper péniblement deux bons mètres à la corde. Et il lui semblait qu'elle n'était pas tellement plus près de l'enfant. Celui-ci appela :« Maman ? » Puis il s'exclama, en pointant du doigt le ciel : « Un ballon ! »
Rose aperçut un petit dirigeable qui, à basse altitude, se trouvait juste au-dessus d'eux.
C'est alors que la corde s'éloigna brutalement du mur. Rose cria : le sol de la terrasse n'était déjà plus sous ses pieds. Elle releva la tête, et s'aperçut que la corde qu'elle tenait était attachée au ventre du dirigeable. Elle baissa les yeux, et vit qu'elle se trouvait à présent très haut, au-dessus de la rue où était garé le TARDIS. Et la corde montait encore : elle était à la hauteur des cheminées des toits des maisons tout autour.
Rose appela : « Docteur ! »
La corde continuait de s'élever. La pleine lune brillait au milieu des nuages. Les projecteurs balayaient le ciel, tandis que des lueurs d'incendies apparaissaient ça et là entre les toits.
« Docteur !!! », hurla Rose, en se cramponnant à la corde. Puis les premières explosions des canons anti-aériens s'allumèrent dans le ciel, avec suivies du bruit sourd des détonations.
« Okay, admit Rose. Peut-être pas le bon tee-shirt. » Les bombardiers fonçaient sur elle. A droite, un bloc d'immeubles disparut dans les flammes.
***
Le Docteur s'était précipité à l'extérieur du club. Il appela : « Rose ! », mais personne ne répondit. Il remonta la rue pour rejoindre le TARDIS. Elle ne l'y attendait pas. Le Docteur poussa un soupir, puis aperçut un chat, qui s'était immobilisé sur une poubelle voisine. Il l'attrapa et lui dit :
« Tu sais, un jour. Juste un jour, peut-être, je rencontrerai quelqu'un qui comprendra ce que 'ne t' éloigne pas' veut dire. Après neuf cents ans de voyage en cabine téléphonique, c'est la dernière chose qui pourrait me surprendre. »
Un téléphone se mit à sonner.
Le Docteur regarda autour de lui. Le téléphone sonna encore une fois. Cela semblait venir du... Non, impossible !
Le Docteur déposa le chat, qui prit aussitôt la fuite. Le Docteur s'approcha de son vaisseau spatio-temporel : C'était bien le téléphone public du TARDIS qui sonnait. Le Docteur ouvrit le panneau et regarda le téléphone factice sonner à nouveau.
« Comment est-ce que tu peux sonner ? , demanda le Docteur. Qu'est-ce c'est que cette sonnerie ? »
Il sortit son tournevis sonique.
« Qu'est-ce que je suis censé faire avec un téléphone qui sonne ?, fit encore le Docteur.
Ne répondez pas !, fit une voix de femme, qui provenait de l'autre bout de la rue. C'est pas pour vous. »
Elle se tenait près de la poubelle où le Docteur avait trouvé le chat. Elle semblait très jeune, pauvrement mais chaudement vêtue. Brune, deux nattes. Le Docteur rangea son tournevis, et s'approcha :
« Et comment savez ça ?, demanda-t-il.
Parce que je le sais, répondit la jeune fille. Et je vous le dit : Ne répondez pas.
Hé bien, si vous en savez tant, dites-moi donc, comment cela peut-il sonner ? » Le Docteur se tourna le TARDIS : « Ce n'est même pas un vrai téléphone : il n'est pas branché, il n'est pas... »
L'inconnue avait disparu. Et le faux téléphone continuait de sonner. Avec beaucoup d'hésitation, le Docteur décrocha le combiné :
« Allo ? », dit-il. Personne ne répondit. Alors il ajouta : « C'est le Docteur qui vous parle. En quoi puis-je vous aider ? »
Le combiné téléphonique répondit d'une petite voix :
« Maman ? Maman ?»
Qui est là ? Qui parle ? », demanda le Docteur.
Es-tu ma maman ?
Qui êtes-vous ? Comment vous l'avez fait sonner : ce n'est pas un vrai téléphone, il n'est même pas relié au...
Maman ? »
Le Docteur regarda le combiné téléphonique. Puis il raccrocha.
Il lui vint une autre idée : « Rose ? », il appela à la porte du TARDIS. « Rose, est-ce que tu es là-dedans ? »
A l'autre bout de la rue, quelque chose de métallique s'écrasa à terre. Le Docteur s'élança dans la direction du bruit.
CHAPITRE CINQ
Il arriva très vite au bas d'un mur de briques, derrière lequel une femme criait : « Les avions arrivent, tu ne les entends pas ? Allez, dans l'abri ! Et arrête tes idioties, bouge ! »
Le Docteur se hissa au sommet du mur : de l'autre côté, il y avait un jardin, au fond duquel avait été aménagé un abri anti-bombardement rudimentaire. Une grosse femme y poussait sans ménagement son enfant :
« Allez, rentre là-dedans ! »
Elle se retourna : « Arthur ! », elle appela : vas-tu te dépêcher ? T'as pas entendu les sirènes ? »
Un gros homme sortit alors de la porte de derrière la maison, pour aller à l'abri tout en maugréant :
« Au milieu du dîner, chaque nuit, ces empaffés d'allemands, ils mangent pas ? »
Un sifflement descendait du ciel.
« J'entends les avions ! », cria la femme.
Le gros homme cria au ciel : « Vous mangez pas ?
Oh baisse le ton, répondit sa femme : c'est une attaque aérienne. »
Et tous les deux descendirent dans leur abri : « Allez, avance !, disait encore la voix de la femme : on est en guerre.
Je le sais qu'on est en guerre ! Ne me pousse pas ! »
Pendant ce temps, la mystérieuse inconnue que le Docteur avait rencontrée quelques minutes auparavant dans la rue sortait de l'ombre du jardin, pour aller se faufiler à l'intérieur de la maison abandonnée. Arrivée dans la cuisine, la jeune fille sorti un sac, et commença à fouiller les placards.
***
Pendant ce temps, Rose survolait la cathédrale de Saint-Paul. Une escadrille fila sous ses pieds. La bataille faisait rage. Un obus de la défense anti-aérienne explosa juste à côté d'un avion qui passait à côté d'elle.
De son balcon, un officier de la Royal Air Force inspectait le ciel de ses jumelles. Des jumelles un peu spéciales : la vue que pouvait avoir l'officier de la bataille était jalonnée de symboles extraterrestres bleuâtres mouvants. Et justement, ce que les symboles extraterrestres commentaient, c'était l'image d'une jeune fille en jeans et tee-shirt orné d'un drapeau britannique, se balançant à une corde et entourée d'explosions.
« Eteignez ces lumières, s'il vous plait ! Tout le monde descend aux abris ! », disait quelqu'un dans le dos de l'observateur.
« Jack, demanda un autre officier : Tu descends aux abris ? »
Le dénommé Jack répondit, sans quitter des yeux son objectif :
« Si seulement je n'avais pas à partir pour cette stupide mission de protection...
Un ballon de barrage ?, s'étonna l'officier. Il a dû se détacher. Cela arrive de temps à autres. Vous autres les gars de la RAF, vous vous entraînez dessus, non ? »
Jack en profita pour zoomer sur le bas du dos de son objectif. Les symboles extraterrestres se mirent à danser de plus belle.
« Excellent derrière ! », commenta le jeune homme.
Cela sembla embarrasser son compagnon :
« Tu sais, vieux, il y a un temps et une place... Ecoute, faudrait vraiment que tu y ailles. »
Jack daigna enfin abandonner ses jumelles, et fit face à l'officier : le sourire ravageur, le regard éclatant de charme, on aurait dit la réplique vivante d'une publicité pour une marque de cigarette sans la cigarette.
« Désolé, vieux, répondit Jack : faut que j'aille retrouver une fille. Mais tu as aussi un excellent derrière. »
Et au passage, il pinça la fesse de l'officier, qui rougit fortement.
***
De l'autre côté de la ville, la mystérieuse jeune fille achevait de piller la cuisine de la maison abandonnée : une boite de biscuit, puis une miche de pain avaient rejoint les fruits et les conserves déjà razziées dans les étagères. Elle s'apprêtait à quitter la maison par la porte de devant, quand elle se rappela quelque chose qu'elle avait entendu dire quelques minutes plus tôt. Elle revint sur ses pas, jusqu'à l'entrée de la salle à manger – et un grand sourire illumina son visage.
Elle se précipita à la porte d'entrée et siffla deux fois. Puis, aussitôt, elle retourna à la salle à manger, où attendait une table chargée de victuailles. Elle se débarrassa de son manteau.
Dehors, une bombe descendait en sifflant.
Deux enfants apparurent à l'entrée de la salle à manger.
« Vous êtes beaucoup dehors ? demanda la jeune fille, qui commençait à trancher le succulent rôti.
Euh, oui mademoiselle ! »
Et ils se précipitèrent sur la nourriture.
« Je sers !, rappela la jeune fille : assis, et pas touche ! On a tout le bombardement. »
Le plus jeune dit : « Regarde ! J'parie qu'ça vient du marché noir.
ça suffit, » répondit la jeune fille.
***
Et Rose continuait de se balancer au bout de sa corde au-dessus de Londres. Un nouvel obus éclata tout près, et l'envoya valser. Elle cria. Chaque fois que la corde partait valser, elle perdait encore quelques centimètres en essayant de se rattraper. Et à présent, ses jambes pédalaient largement dans le vide. Un sifflement descendit sur elle, puis au-dessous d'elle – et une gerbe de flammes monta à sa rencontre.
L'air brûlant remonta violemment dans sa direction, heurta le ballon de barrage, qui fit un nouvel écart. La corde, à nouveau, ondula comme un serpent. Rose fut projetée d'un côté, se rattrapa une première fois, puis elle fut balancée de l'autre côté – et ne rattrapa plus rien du tout. Sous elle, les gaz enflammés dessinaient une étoile. Rose bascula dans le vide, et hurla...
Alors, un nouveau projecteur s'alluma et attrapa la jeune fille dans son faisceau. Et, chose très curieuse, la chute de Rose s'arrêta précisément au coeur de ce faisceau – qui était parcouru d'anneaux d'énergie.
Rose battait toujours des bras en hurlant.
« Okay, okay, je vous tiens !, fit une voix masculine des plus cordiales.
Qui me tiens ?, cria Rose. Qui me tiens, et... (elle regardait autour d'elle) comment ?
Laissez-moi juste programmer votre trajectoire de descente...Restez aussi immobile que possible, et gardez vos mains et vos pieds à l'intérieur du champ lumineux.
Trajectoire de descente ?, répéta Rose.
Oh, et pouvez-vous éteindre votre téléphone portable ?
Quoi !?!
Non, sérieusement, ça interfère avec mes instruments. »
Rose sortit aussi vite que possible son portable... « Personne ne va jamais me croire, soupira-t-elle au milieu des anneaux d'énergie.
Merci, fit la voix, c'est beaucoup mieux.
Oh oui, répondit Rose, c'est un vrai soulagement, c'est ça : je suis suspendue dans le ciel au milieu d'un bombardement nazi avec le drapeau anglais sur ma poitrine, mais, hé !, mon téléphone portable est coupé !!! »
Rose rangea le téléphone dans sa veste.
La voix riait : « On se retrouve dans une minute. »
***
Plusieurs centaines de mètres plus bas, le capitaine Jack, de la Royal Air Force, s'activait sur les consoles de son vaisseau spatial.
« L'engin mobile indique une forme de vie non contemporaine, signala une voix féminine dans les haut-parleurs de la cabine. »
Jack fit pivoter son siège pour se retrouver en position de pilotage :
« Elle n'est pas d'ici, oui. »
Dehors, Rose pédalait toujours dans le vide.
« Je suis à vous, lança Jack : Accrochez-vous !
A quoi !?! », cria Rose.
Jack leva les yeux : « Bien vu ! », admit-il.
Et il releva sa manette.
Traduction David Sicé 2005
Tous droits réservés BBC, Stephen Moffat