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STRIKE

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VENDREDI 2 SEPTEMBRE 2005

Tous droits réservés : texte David Sicé, illustrations : leurs auteurs.

 

 

DANS LA CHALEUR DU SUD

David Sicé

 

 

Martha se leva, et son cher fauteuil continua à basculer sans elle. Elle s'arrêta devant le miroir, histoire de voir si elle était toujours présentable : une telle chaleur, c'était vraiment pas croyable.

Pendant ce temps, un sifflement tombait du ciel. Loin, dehors.

Martha se traîna jusqu'à la fenêtre en s'éventant. Un point fumant zébrait avec lenteur d'une balafre noire et boursouflée le mur crayeux des nuages.

« Encore un ! Sainte-mère de Dieu, combien faut-il encore qu'ils en fassent tomber ! »

Elle repoussa le rideau de perles pour revenir sur le perron. Le point fumant toucha la terre. Elle prit une profonde inspiration. Puis le vent se leva, et un choc sourd arriva jusqu'aux planches de bois mal ajustées.

« Washington !, elle appela : qu'est-ce que t'en penses, ce sont des Russes ou des Chinois ? »

L'intéressé arriva en trottinant jusqu'au bas des marches, pour la regarder bêtement en agitant la queue.

« Allez, monte, commanda Martha, dis tout à ta maman... »

Elle se renversa assez lourdement dans le fauteuil à bascule, et le chien sauta aussitôt dans ses bras. Washington pointa alors son museau en direction du point d'impact :

« C'est un américain, annonça la voix électronique.

Américain ?, répéta Martha : ça existe encore ce pays-là ?

Il faut croire que oui, répondit Washington en lui décochant un coup de langue.

Il va peut-être falloir que j'aille lui porter secours, alors : Allez, ouste ! »

***

Martha enfila comme elle pouvait sa vieille veste de mécano – mais cela faisait longtemps qu'elle ne lui allait plus. Pas grave. De toute manière, elle n'avait jamais eu l'intention de la fermer. Elle vérifia quand même que l'écusson de la NASA était encore visible. Personnel civil détaché, quelle blague ! Tout ça pour ne pas avoir à vous payer de pension... Oui, ça allait le faire.

Elle escalada son rover tout bricolé et écaillé. Considérant le capot criblé de trous de rouille, elle secoua la tête, . Puis elle empoigna le volant de cahoutchouc durci, en maugréant :

« Si tu crois qu'il va te faire une remarque sur ton carosse ! Penses-tu, il est bien trop occupé à éteindre son cul en feu à l'heure qu'il est... Allez, monte ! », ajouta-t-elle à l'intention de son chien électrique.

Washington escalada lestement le rover pour aller se jucher sur le siège du passager. Martha remarqua :

« Toi au moins, t'as pas rouillé... »

Puis elle donna une tape sur le cuir déchiré pour indiquer à son compagnon à quatre pattes d'aller se coucher au pied du fauteuil : on ne sait jamais, en cas d'accident... Et tandis que son rover franchissait l'étendue désolée en tressautant, Martha rêvassait.

Et si ça se trouve, c'est un jeune super bien gaulé. S'il est pas trop grillé, j'en ferais bien mon quatre heure... Ah ma pauvre fille, c'est toi qui a le feu au cul. Et si ça se trouve, c'est qu'un de ces vieux vétérans tout déglingués, avec des implants cyborgs partout, même là où il faut pas. Et même un vieux, avec un implant comme il faut, elle dirait pas non.

Elle arrivait au point du crash.

« Hé, ho, y'a quelqu'un ? »

Un énorme cratère vomissait de la fumée. Rien qu'à l'odeur... Elle attrapa un masque à peine étanche dans la boite à gants.

« Allez, mon gars, montre-toi ! On est du même bord : tu la vois pas ma jacquette ? Bon c'est vrai qu'j'ai pris quelques kilos en trop depuis mon service à bord de l'USS Enterprise, mais c'est pas une raison pour jouer les timides !

Bougez plus ! », cria une voix éraillée dans son dos.

Martha se retourna. Washington remonta discrètement sur le fauteuil du passager.

« Descendez, les mains en l'air et pas d'embrouille ! »

Mon Dieu, ils les prennent vraiment au berceau maintenant, pensa Martha.

« Et comment je fais pour descendre si je ne peux pas bouger ? », elle répondit.

Le gamin ne devait pas avoir plus de dix ans. Si c'était un gamin, bien sûr. Blond, avec des tâches de rousseur. La combi bien amochée, mais pas vraiment l'air blessé. En tout cas, pas grièvement.

Il pointait un pistolet sur elle.

« J't'ai dit de descendre, la grosse !

Ca va, ça va, je descends, pas la peine d'être impoli... », répondit Martha.

Et elle leva les bras en l'air. Toujours caché par le dossier du fauteuil, Washington la suivait des yeux, le regard dur.

« Qu'est-ce qu'une sale nègre comme toi fait sur Titan ?, dit le garçon.

Qu'est-ce qu'un mignon gamin du Klan fait ici, si loin de chez lui ? »

Martha en avait presque de la peine pour lui.

« Répondez à ma question ou je vous bute !

Okay, okay, je vais répondre, enlève pas ta p'tite culotte. J'suis une vétérante, un soldat de la guerre interplanétaire, comme toi, qu'a pris sa retraite ici. Ma maison n'est pas loin, et il y a tout c'qu'il faut pour te soigner là-bas, et te cacher. »

Les épaules du garçon se relâchèrent un peu. Le canon du pistolet se mit à trembler.

« J'ai même une unité, un truc à chiffrage quantique : on pourra appeler ton état-major pour qu'ils viennent te chercher si tu veux. »

Les épaules du garçon se crispèrent à nouveau, et le canon cessa de bouger. Okay, je vois le genre, pensa Martha.

« C'est la maison là-bas ? », il demanda.

Martha hocha la tête.

« Et tu vis seule ?

Non, je vis avec Washington.

C'est qui Washington, ton mac ?

C'est mon chien, répondit Martha. Je l'ai emmené avec moi. Maintenant je vais l'appeler : il n'est pas méchant, et il n'est pas gros – alors tu n'vas pas lui tirer dessus, hein ? »

Le canon du pistolet descendait.

« Vas-y, dit le gamin, appelle-le. »

Martha appela : « Washington ! Montre-toi mon amour. Viens dire bonjour au gentil monsieur ! »

Un bruit mou provenant de derrière le rover indiqua que quelque chose venait de sauter du côté du passager. Puis Washington arriva tranquillement, en contournant par l'arrière le véhicule tout terrain. Il avait l'oeil vif, il remuait la queue. Il s'arrêta entre Martha et le soldat.

Le blondinet sourit : « Washington, c'est ça ? »

Et il lui tira dessus.

Le chien se dressa sur ses pattes arrières pour faire le beau.

« Putain, qu'est-ce que... !, s'exclama le jeune soldat de l'espace : pourquoi tu crèves pas ? »

Une tâche grise apparut subitement au milieu du front du gamin. Le garçon porta sa main à son front, pour l'essuyer. Il retira sa main, regarda ses doigts sales, mais sans aucune trace de sang. Il ne comprenait pas.

Puis il s'effondra.

L'image du chien se brouilla, puis disparut : il n'y avait plus à sa place qu'une espèce de grosse araignée, dont les pattes se rétractèrent avec chuintement visqueux. Le véritable Washington sortit de dessous le tableau de bord du rover et bondit aux pieds de sa maîtresse.

« Cyborg ?, demanda froidement Martha.

Non. Bio avancé, » répondit le chien.

Martha s'approcha, et retourna le corps du pied.

« Un vrai gamin ?

Oui. Le prix de revient est moins cher qu'un modèle adulte.

Hé ben, t'auras vraiment pas eu d'enfance, toi... »

Sur le ventre, les côtes peinaient davantage pour compresser et relâcher les poumons.

« Qu'est-ce que nous en faisons, Martha ?, demanda Washington.

Donne le à bouffer aux nanos : j'en veux même pas pour mes proteïnes, de celui-là...

Nano destruction confirmée. », répondit simplement Washington.

Sur le visage d'ange blond étonné du jeune soldat , la tâche grise se mit à palpiter. Puis elle commença à s'agrandir. Martha regarda le petit corps se consumer, et la combinaison déchirée s'affaisser, dégorgeant de cendres.

Elle cracha dessus, puis remonta dans le rover.

« Allez, Washington, on ira rechercher les trucs intéressants une autre fois : on rentre chez nous ! »

 

FIN

 

 CAPTAIN STRIKE est un fanzine électronique

de courts récits de space opera .

Texte tous droits réservés David Sicé.